3 questions à Philippe FRANÇOIS en charge des questions de santé à l’iFRAP Think Tank indépendant

 3 questions à Philippe FRANÇOIS, en charge des questions de santé à l’iFRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques, Think Tank indépendant)
D’après vous, le financement de la santé est-il durable ?
Il faut savoir que seuls deux pays dépensent plus pour la santé que la France: les Etats-Unis, et les Pays-Bas. Les Français sont très attachés à ces taux de dépenses élevés pour la santé. Cependant, le déficit de l’Assurance maladie atteint aujourd’hui 10 milliards d’euros et depuis 1998, jamais l’Assurance maladie n’est parvenue à l’équilibre. Les différents gouvernements mettent en place des plans qui fonctionnent toujours sur les mêmes principes – baisse du remboursement, baisse du prix des actes, hausse des cotisations, et qui n’apportent que des résultats transitoires. Des réformes de structure sont indispensables. La situation est grave, car le déficit de l’Assurance maladie n’est pas isolé : il représente 10% des 100 milliards de déficit de la France. Je ne suis pourtant pas pessimiste : si la croissance française reprend à 3%, le niveau de vie des Français doublera à nouveau en une génération, et les dépenses consacrées à la santé plus encore.

Que peut-on faire pour mieux maîtriser les stratégies de santé ?
Selon moi, le problème de financement est un problème parmi d’autres : il faut aussi prendre en compte la situation des professions médicales et des patients. A mon sens, les médecins sont mal traités en France. Après 12 ans d’études, on leur dit qu’ils seront payés 23 euros par patient jusqu’à la fin de leur vie, quel avocat, quel ingénieur, quel haut fonctionnaire accepterait ces conditions ? Je comprends leur découragement, et cela explique aussi qu’ils se tournent massivement vers le salariat. Nous avons échoué à créer les conditions d’un exercice libéral épanouissant. Même le secteur II, attribué à vie, et qui, à trente ans, fige une situation pour l’ensemble d’une carrière n’est pas satisfaisant. Ce manque de flexibilité est typique d’une gestion administrative centralisée. Du côté des patients, force est de constater qu’ils sont sous informés. S’ils n’ont pas de réseau dans le monde médical, l’Assurance maladie les envoie aveuglément depuis 60 ans vers des établissements de la carte sanitaire, sans tenir compte du rapport qualité / coût et avec parfois les situations dramatiques que l’on connaît : patients basculés vers des établissements qui traitent parfois un seul cas de cancer dans une année, maternités en forte sous-activité etc.
Pourtant, les progrès de la médecine sont réellement sensationnels : les robots modifient profondément la chirurgie, l’imagerie diagnostique a fait un énorme bond en avant, l’hospitalisation à domicile, avec des techniques de suivi en lien direct avec l’hôpital, le dossier médical informatisé vont accélérer encore les choses, sans même parler du décodage du génome…Toutes ces innovations créent en plus des opportunités d’organisation du système de soin : il va falloir repenser les rôles des personnels de santé. Des tâches comme la prise de tension et même certaines poses de fibroscopies ou d’électrocardiogrammes par exemple pourront être assumées par des infirmières, pour laisser les médecins se concentrer sur le diagnostic et l’analyse des résultats. Aux Etats-Unis, il existe déjà des boutiques de santé, où l’on se rend pour des soins simples, parce que l’on a mal à la gorge, par exemple. Pourquoi ne pas attribuer plus de compétences aux pharmaciens ? En France, on sent aujourd’hui une poussée pour redistribuer les rôles, mais statuts sont encore très figés. Le problème de fond est de savoir comment libérer ces énergies ? Dans notre pays, l’Etat et la CNAM (puisque l’on ne peut plus les différencier) contrôlent la santé. Quand une décision est prise, elle est appliquée sur l’ensemble du territoire, dans toutes les régions… En Italie, en Allemagne, en Suède, beaucoup de structures de santé publiques sont au contraire gérées au niveau régional. Et quand des problèmes de gestion se font sentir, ils peuvent être pris en charge par un groupe de cliniques privées, comme c’est le cas pour les Hôpitaux de Stockholm, ou en Allemagne, où un CHU est géré par un groupe de cliniques privées. En Angleterre, les médecins généralistes ont un pouvoir très important : ils sont rémunérés pour conseiller les patients sur les praticiens ou les établissements. Autre bonne idée : multiplier les assureurs et les impliquer dans les politiques de santé. En Allemagne et aux Pays-Bas, plusieurs assureurs jouent ce rôle de conseil et de prévention. Un système complexe leur permet de vérifier que chaque assureur prend en charge une patientèle socialement équilibrée, ce qui permet de respecter l’équité. En France, la CNAM décide de tout et pour tout le monde. Il y a beaucoup de complémentaires, mais elles n’ont pas le pouvoir de suivre réellement les patients. Cependant, des groupes de complémentaires ont mis en place un tarif préférentiel pour les soins dentaires et l’optique, c’est un bon début !

À quoi ressemblera la médecine de demain? 
Le décodage du génome a été un incroyable bond en avant. Il y a dix ans, il était impensable que l’on puisse l’obtenir le décodage de son génome pour 1000 euros. D’ici quelques années, il tombera à 300 euros, ce n’est rien. On peut imaginer que des patients qui sauront qu’ils ont une propension à développer une certaine pathologie s’associeront pour lancer de la R&D sur leur maladie. C’est véritablement un nouveau paradigme. Mais le défi général est de concilier les réussites extraordinaires de la spécialisation (ex : greffe, prothèse) avec le suivi des malades tout au long d’un traitement ou de la vie. Aujourd’hui, la prévention et l’après hospitalisation sont négligés. La médecine fonctionne pourtant sur des courbes montrant des évolutions : il est étrange que l’on ne propose pas à tous les Français un ou deux check up complets dans leur vie, tous les 20 ans… Il faudrait aussi appliquer les logiques de « Big Data », utilisées en marketing, à la santé. Les logiciels de « Big Data » traitent et rationnalisent des flux importants de données, il faut les utiliser pour traiter par exemple les effets secondaires des médicaments ou des soins à un niveau macro !