Dr Ségolène Arzalier-Daret, présidente de la Commission SMART-CFAR sur les risques psycho-sociaux

Le Dr Ségolène Arzalier-Daret est également anesthésiste-réanimateur au CHU de Caen. La Commission SMART-CFAR sur les risques psycho-sociaux est à l’origine de la campagne #1PATIENT1ÉQUIPE, primée par la European Association for Physician Health.

Comment est née l’idée d’une campagne sur les risques psycho-sociaux au bloc opératoire ?

La campagne #1PATIENT1ÉQUIPE est née à l’initiative du Collège français des anesthésistes réanimateurs, dans sa branche sur la santé au travail (SMART). Cette branche, créée en 2009, suite aux suicides successifs de trois anesthésistes-réanimateurs, est très active.

À la fin du mois de décembre 2018, nous avons lancé une grande enquête, tous secteurs confondus (public, privé, ESPIC), auprès de toutes les catégories professionnelles concernées par les plateaux techniques lourds. Nous avons obtenu 1 916 réponses, très riches d’informations. 90 % des répondants ont déclaré avoir déjà vécu une situation de conflit. 63 % se sont dit victimes de violence et 30 % déclaraient au contraire être à l’origine de la violence. Cet aveu montre bien qu’il s’agit bien d’un contexte situationnel, plus que de problèmes d’humeur ou de tempérament. La violence au bloc impacte à la fois la qualité de travail des professionnels de santé, le niveau de stress au bloc et la qualité des soins. Nous avons eu envie de réfléchir aux déterminants de ces situations conflictuelles. 75 % des personnes se sentent démunies face à un conflit et seulement 16 % des établissements proposent une prise en charge des conflits. L’hôpital n’est pas un lieu de non-droit. Ce n’est pas parce que l’on travaille dans un environnement fermé, soumis au stress, avec de forts enjeux qu’il faut tolérer les manques de respect. Nous sommes partis du principe que la violence au travail est accessible au changement.

Comment avez-vous élaboré vos outils et quels sont-ils ?

Nous nous sommes d’abord intéressés aux causes principales des conflits. Elles ont trait à une mauvaise organisation, une mauvaise communication, ou à une charge de travail trop importante. La personnalité arrive en dernier des causes listées (moins de 10 % des cas). Il y a donc un vrai potentiel d’amélioration.

Beaucoup d’incompréhensions proviennent de la méconnaissance mutuelle des métiers qui se croisent au bloc opératoire. Aucun temps n’est alloué à la construction d’un collectif de travail. Depuis la loi HPST, les hiérarchies au sein du bloc ont été modifiées. La T2A a également introduit beaucoup de pression sur les actes, au détriment des temps d’échanges formels et informels. Il nous semble donc important de sensibiliser les professionnels à la notion de collectif de travail, pour retrouver et demander du temps d’échange.

Nous avons développé des outils de prévention, de gestion et d’analyse des conflits.

Pour la prévention, il est intéressant de relire les textes fondamentaux : Que ce soit le serment d’Hippocrate ou la déclaration de Genève des médecins, tous rappellent l’importance de se prémunir contre les risques de violence. Nous avons effectué également un rappel du cadre juridique des violences dans le travail.

Puis, nous avons édité une Charte du savoir-être.

Les signataires s’engagent à adopter un comportement mesuré dans leur champ professionnel, à analyser les conflits, à protéger les patients en isolant la personne qui génère le conflit jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé un état émotionnel normal. Ils s’engagent à promouvoir le respect au sein du bloc. La Charte doit être présentée au Conseil de bloc, pour que chacun se l’approprie.

Nous proposons également une grille d’analyse des conflits à froid, qui fonctionne à peu près comme une revue de mortalité et de morbidité : c’est une suite de questions qui traitent le conflit comme un événement indésirable : Y avait-il du matériel défectueux, une mauvaise communication des tâches à réaliser… etc. Nous utilisons la grille REACT (Réunion d’équipe d’analyse des conflits au travail), qui permet ensuite de mettre en place un plan d’amélioration, avec un échéancier et une évaluation.

Nous proposons des techniques, inspirées de la communication non-violente, pour mettre de côté son émotion et attendre que la raison revienne, afin de protéger le patient. La communication non-violente est peu connue et peu pratiquée à l’hôpital, alors qu’elle fournit de bonnes pistes dans la gestion des conflits, notamment pour exprimer un doute à un supérieur hiérarchique sans créer de conflit, grâce à une communication factuelle et standardisée. Ces outils s’adressent à tous, aux victimes comme aux auteurs de violence.

Nous avons également développé des fiches de réaction immédiate pour éviter l’escalade, en évitant une réponse agressive, passive-agressive, mais aussi en évitant le déni et la fuite. Des outils pour améliorer la cohésion des équipes existent déjà, produits par la HAS. N’hésitez pas non plus à les utiliser !

Est-ce un hasard si cette campagne émane de votre spécialité, l’anesthésie-réanimation ?

Les anesthésistes-réanimateurs ont toujours été en avance sur la gestion des risques. C’est une profession qui s’interroge beaucoup sur ses pratiques et qui est très inspirée par l’aéronautique. Dans ce domaine, un travail énorme a été accompli pour mesurer le rapport entre les comportements humains et la qualité du travail.

Mais notre campagne ne s’adresse pas exclusivement aux anesthésistes-réanimateurs, au contraire : elle doit résonner dans tous les corps de métiers liés aux plateaux techniques. Nous avons 44 partenaires représentant des corps de métiers et aussi des institutions, qui doivent se saisir de ces messages. Notre enquête et notre campagne, qui n’auraient pas pu avoir lieu sans ces partenariats, ont reçu un prix de l’EAPH (European Association for Physician Health). Preuve que le sujet concerne les professionnels non seulement bien au-delà de notre spécialité, mais aussi au-delà de nos frontières !