Trois questions à Romain Dussaut

romain dussaut, Directeur de l’Hôpital Européen Paris La Roseraie et de la Polyclinique d’Aubervilliers à Aubervilliers (93)

Quelles sont vos plus belles expériences ?

Je suis arrivé dans le domaine de la santé dans le cadre d’une mission d’audit financier lors du rachat de la clinique par le groupe Italien Villa Maria. J’ai été embauché au poste de directeur adjoint en 2005 et je dirige actuellement deux établissements sur Aubervilliers. Ce métier m’a ouvert tout un horizon où la finance est souvent reléguée au second plan. En effet, avec 30 000 passages aux urgences par an sur un territoire en grande fragilité sociale où il n’y a pas d’hôpital, 27% de patients bénéficiaires de la CMU ou de l’AME – pour un taux national de 9%, 45% des parturientes qui se présentent dans notre maternité sans avoir eu de suivi préalable, un centre de santé saturé avec 1200 patients par jour pour 35 spécialités, je pense qu’indéniablement nous remplissons à 150% notre mission de service public. Notre quotidien à la clinique est fait de situations extrêmement paradoxales. Si les plus grands hôpitaux de Paris nous envoient leurs patients pour notre spécialité de neurochirurgie, notre maternité subit un taux de fuite de l’ordre de 44% en sens inverse, lié à notre lieu d’implantation, lieu qui, pour notre activité de scintigraphie cardiaque ne parvient pas à décourager les patients de la capitale ! Chez nous, on ne s’étonne donc plus de rien, nous accueillons tout le monde, patientèle du 16ème et patients sans droits, et faisons par exemple régulièrement des accouchements avec interprète interposé via une ligne téléphonique.

Quels sont vos plus gros échecs?
Mes regrets sont plutôt des constats. Le report de la convergence est désolant. On note en radiothérapie un écart de tarif entre le privé et le public très important alors que chez nous le patient attend moins de 3 jours pour être pris en charge. Nous avons les mêmes exigences, les mêmes équipements et les mêmes devoirs vis-à-vis des patients, qui, dans une zone défavorisée comme la nôtre arrivent très souvent avec des pathologies très lourdes, détectées beaucoup plus tard et des DMS plus longues. C’est parfois très difficile au quotidien de veiller à la bonne santé de tout un pan de population pour qui, payer le ticket modérateur, relève de l’impossible. D’autre part, j’évoquerais le malaise de nos personnels qui sont mis à contribution au maximum. Nous venons d’ailleurs d’endiguer un mouvement social chez nous. Quand on compare nos effectifs à ceux de l’AP-HP par exemple, rapportés aux quotas en vigueur, les écarts sont choquants.

Quelles réflexions vous inspire l’actualité ?
Je pense que, sur notre secteur, un travail de maillage de la part des tutelles manque. Nous aimerions pouvoir proposer à nos patients un vrai parcours de soins intégré qui ne pourrait se faire qu’avec une collaboration avec les hôpitaux proches. Je pense tout de même qu’il faut faire le ménage devant sa porte en premier. Le secteur privé ne se sert pas toujours les coudes et l’activité libérale des médecins ne favorise pas toujours les règles de bonne conduite. Même si nous avions une ARS proche de nous, je pense que le regroupement des pouvoirs et des compétences en une unité est potentiellement une bonne chose. Maintenant j’attends de voir ce qu’il adviendra de la répartition juste des MIGAC évoquée par M. Evin. Pour terminer, je pense que nous pourrions nous inspirer de ce qui se fait en Italie où les clivages public-privé se sont largement estompés.