Trois questions à Prof. Philippe Even

Prof. Philippe EVEN, pneumologue et Président de l’Institut Necker, Paris


Pourquoi un médicament tel que le Médiator a-t-il été laissé sur le marché aussi longtemps ?

La dangerosité du médiator, produit autorisé aux seuls diabétiques et vendu comme coupe-faim, a été évoquée dès 1999 à la suite de cas de valvulopathies induites par ce médicament, qui n’est autre qu’une amphétamine, substance interdite en France depuis 1997 et qui a fait des centaines de victimes en Europe et aux États-Unis ! La mention amphétamine n’étant nulle part spécifiée, le laboratoire a continué à la commercialiser en toute impunité pendant encore 11 années alors que les soupçons et les notifications de pharmacovigilance se sont multipliés au fil des années. Ce scandale aura l’avantage de mettre en lumière les dysfonctionnements autour des conditions d’octroi d’autorisations de mise sur le marché des médicaments en France, ainsi que ceux de nos systèmes de contrôle qui sont compliqués, parfois «juge et partie», et qui, à coups de commissions, mettent des années à prendre des décisions. Sans oublier le poids formidable de l’industrie pharmaceutique en France et ailleurs.

Nous sommes dans une situation de crise, que conseilleriez-vous aux pharmaciens de nos 700 cliniques adhérentes ?
Dresser trois listes de médicaments : les inactifs, les dangereux, et les efficaces et se limiter à ceux qui sont moins onéreux dans cette dernière catégorie. Ce serait une manière judicieuse et efficace d’écarter les 50% de médicaments qui ne servent à rien mais qui restent tout de même sur le marché, tout en étant plus attentifs à ce qui est distribué aux patients. Je pense que les pharmaciens, de par leur formation, perception et expérience, en coopération avec un panel d’experts indépendants, seraient les plus qualifiés pour porter ce projet. Que l’hospitalisation privée amène un tel projet serait également une leçon d’efficacité pour les pouvoirs publics.

Acheteurs puissants, quel rôle les établissements de santé privé peuvent-ils jouer dans l’amélioration du système du médicament ?
Je suis issu du secteur public mais je porte un jugement positif sur le secteur privé en termes de compétences et d’organisation. Je pense que ce secteur pourrait avoir un rôle efficace et leader en termes de pharmacovigilance et ainsi participer activement à l’amélioration du système du médicament. Les chiffres sont effrayants, aussi bien ceux liés à la prise en charge des victimes des médicaments que les coûts des médicaments eux-mêmes. Le médicament coûte aux Français 30 milliards d’euros par an, c’est-à-dire trois fois plus que le trou de la sécu! Retirer du marché les médicaments dangereux et inefficaces conduirait globalement à redresser la balance. En termes d’image, l’hospitalisation privée a très certainement sa carte à jouer, d’autant plus que désormais le ministère ne va pas rester sans rien faire.