3 questions à Gérard Reysseguier

Gérard Reysseguier est Directeur de la Clinique Sarrus-Teinturiers à Toulouse (31)


Il y 10 ans explosait l’usine AZF, comment l’avez-vous vécu alors dans votre clinique ?
Hier à 10h17, l’espace d’une minute de silence, la vie s’est arrêtée à la clinique. J’y étais moi-même pour une commission de sécurité avec quelques acteurs du 21 septembre 2001 : élus de la mairie, délégation de pompiers et représentants de la police. L’émotion se lisait sur tous les visages. En 2001, tous les établissements de santé de Toulouse ont été touchés mais ont continué à fonctionner, grâce à l’élan de solidarité sans précédent des personnels soignants et des médecins. Des établissements plus proches du site AZF, dont les cliniques du Parc et Ambroise Paré ont subi plus de dégâts que nous et ont été aussi largement mobilisés. Nous avons été pris d’assault par la population du quartier et toute celle qui se rendait au marché St. Cyprien proche de la clinique. Tous venaient chercher refuge. Le souffle de l’explosion a été d’une telle violence que de nombreuses personnes se sont retrouvées propulsées au sol. Le quartier a vite pris une allure apocalyptique. Nous avons eu deux accouchements très prématurés dont un bébé né très en avance que nous avons heureusement réussi à sauver. Une mère et son nouveau-né dans sa couveuse ont été miraculeusement sauvés par une sage-femme venue les chercher pour une consultation juste avant l’explosion de la fenêtre. Une de nos salariées a perdu son mari dans l’explosion de l’usine et chaque membre du personnel a également perdu quelque chose ce jour là.

D’après-vous est-ce que la réglementation en vigueur était suffisante pour pouvoir faire face à un tel événement ?
Clairement non. Le problème majeur auquel nous avons eu à faire face était l’absence de réseau téléphonique sur toute la ville, donc des difficultés à joindre la cellule de crise de la préfecture. Les pompiers eux-mêmes ne pouvaient pas communiquer. À partir de là, chaque établissement a fait de son mieux et avec bon sens. Ne laisser sortir aucun patient, mobiliser le personnel et accueillir tout le monde. J’ai laissé partir mes premiers salariés à minuit. Quant aux mesures de prévention, c’est toujours compliqué de savoir d’où peut venir le danger. Chez nous, les risques d’inondation sont certainement plus élevés que les risques d’explosion d’une usine chimique. La réglementation n’avait pas prévu cela mais nous avons fait du chemin depuis.

Quelles mesures sont désormais en place ?
Le ministère de la Défense a organisé un debriefing avec les acteurs de soins après la catastrophe. Il a été constaté un manque de coordination dans l’adressage des patients aux différents services d’urgences avec un engorgement de celles du CHU alors qu’une clinique plus proche du site avait encore des capacités d’accueil. Les cliniques qui font 80 % de la chirurgie sur Toulouse auraient aussi pu être plus sollicitées. Ce sont nos équipes qui sont allées prêter main forte à celles du CHU. Des mesures spécifiques ont été prises depuis. Nous avons désormais un plan blanc amélioré et synthétisé, qui d’ailleurs ne me quitte plus. Chacun sait ce qu’il doit faire en cas d’accident, les listes ressources sont à jour, nous avons amélioré les systèmes de communication – ce qui était demandé lors du débriefing mais à nos propres frais. Un plan d’adressage des patients a été défini par l’ensemble des établissements de soins et la dernière pandémie grippale a bien montré qu’il fonctionne. Nous organisons régulièrement des simulations et nous avons même reçu avec la Clinique Ambroise Paré une vraie alerte à la bombe déclenchée par la préfecture. Ce que je retiens du 21 septembre 2001, c’est la très grande solidarité de chaque acteur du soin devant une catastrophe dont le souvenir restera à jamais dans nos mémoires.