Discrimination sur les tarifs hospitaliers: les cliniques et hôpitaux privés MCO demandent à Bruxelles d’ouvrir une enquête formelle contre la France

La Fédération de l’hospitalisation privée, branche médecine, chirurgie, obstétrique (FHP-MCO) va demander dans les prochains jours à la Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne l’ouverture d’une enquête formelle contre la France pour distorsion de concurrence et financement discriminatoire au détriment des cliniques et hôpitaux privés.

La France, soutient la plainte, a mis en place un financement discriminatoire qui constitue un mécanisme d’aides d’Etat illicite contraire aux dispositions des traités sur le marché commun et à la jurisprudence communautaire.

Cette demande vient en complément d’une plainte déposée en 2010 et qui avait permis l’ouverture d’une phase d’examen préalable.

Pour une prestation de soins identique, les tarifs des cliniques et hôpitaux privés français sont de 22% inférieurs en moyenne à ceux des hôpitaux publics, selon le dernier rapport au parlement sur la convergence tarifaire du ministère de la Santé([1]), soit un écart de financement équivalent à 7 milliards d’euros par an. Cet écart devait être graduellement résorbé d’ici 2018 via un processus de convergence tarifaire pour aboutir à un tarif unique (ou équivalent compte tenu des seuls écarts justifiés) mais le gouvernement Ayrault a décidé d’y mettre fin.

 

Un même métier, une même mission, un même tarif

« Les tarifs financent le même type d’activité, le financement doit donc être égal. En décidant de mettre fin au processus de convergence des tarifs public/privé, conformément à une promesse du candidat Hollande, le gouvernement perpétue une inégalité tarifaire qui est en violation des règles relatives aux aides d’Etat », a affirmé Lamine Gharbi, président de la FHP-MCO, lors d’une conférence de presse, à la veille de la convention de la fédération qui se tient les 29 et 30 mai, à la Grande Motte.

« De plus, et c’est aberrant en temps de crise, ces aides d’Etat déguisées, outre qu’elles menacent la survie de notre secteur, sont coûteuses pour la Sécurité sociale, et donc pour les contribuables: 7 milliards d’euros pourraient être économisés chaque année si la convergence des tarifs hospitaliers public/privé était réalisée. En Allemagne, la convergence tarifaire a été achevée en 2009 et a permis de réaliser 11 milliards d’euros d’économie par an », a poursuivi Lamine Gharbi.

L’arrêt « Iris »Des plaintes pour violation des règles relatives aux aides d’Etat ont également été déposées ces dernières années auprès de la Commission européenne par des associations d’hôpitaux privés allemandes et belges.

Par un arrêt du 7 novembre 2012, dit arrêt « Iris », le Tribunal de l’Union européenne (TUE) a annulé une décision de la Commission européenne qui avait rejeté la plainte d’hôpitaux privés bruxellois contre un financement particulier des hôpitaux publics bruxellois. Au terme d’un examen très détaillé, le Tribunal a estimé que des doutes sérieux existaient quant à l’existence d’un mandat clairement défini relatif aux missions de service public hospitalières et sociales, spécifiques aux hôpitaux publics et à la justification de surcoûts.

« Cet arrêt du Tribunal de l’UE est important car il enjoint la Commission européenne d’ouvrir une enquête formelle lorsqu’elle a ou doit objectivement avoir des doutes sérieux, afin de vérifier la compatibilité aux règles du marché commun des aides dénoncées. Et compte tenu du parallélisme des situations, de la grille d’analyse retenue par la commission et le TUE pour qualifier les aides d’Etat et des arguments avancés dans la plainte, la Commission ne peut pas ne pas avoir de doute sérieux, ce qui nous donne un sérieux espoir pour les cliniques françaises », a souligné Me Thierry Dugast, avocat de la FHP-MCO. « Le TUE juge également qu’une aide qui viole le principe d’égalité de traitement ne peut pas être déclarée compatible avec le marché commun ».

« Le fait que l’hôpital public exerce des missions de service public spécifiques ne justifie pas automatiquement que l’Etat français ait le droit de pratiquer un financement discriminatoire sur les tarifs. Les tarifs ont vocation à rémunérer  les mêmes prestations délivrées par les établissements et seuls les écarts justifiés sont admissibles. Or, l’écart actuel n’est absolument pas justifié », a poursuivi l’avocat

« Quand aux missions de service public, elles ne sont dans l’ensemble pas réservées aux établissements publics et leur financement spécifique au-delà des tarifs doit être justifié par des surcoûts préalablement identifiés, strictement proportionné aux charges spécifiques des missions de service public avec un bénéfice raisonnable et dûment contrôlé. Actuellement, ce financement représente très majoritairement la « reconduction de budgets ‘historiques’ sans répondre à ces exigences. La procédure formelle d’examen que réclament les cliniques doit clarifier la situation », précise Me Thierry Dugast.

Dans des dossiers récents mais dans d’autres secteurs, la Commission européenne a ordonné à la SNCM de rembourser à l’Etat français à hauteur de 220 millions d’euros d’aides publiques, jugées incompatibles avec les règles européennes de la concurrence. Bruxelles a également ouvert une enquête relative à des mesures fiscales favorables à EDF et amendé le projet d’aides publiques à la filiale bancaire de PSA Peugeot Citroën en réservant sa réponse définitive.

 


[1] Rapport 2011 au Parlement sur la convergence tarifaire, ministère de la Santé