Docteur Bernard Le Douarin, secrétaire général adjoint du Conseil national de l’ordre des médecins, responsable de l’Observatoire de la sécurité des médecins

Docteur Bernard Le Douarin, secrétaire général adjoint du Conseil national de l’ordre des médecins, responsable de l’Observatoire de la sécurité des médecins

Quelles sont les principales raisons de cette recrudescence de la violence dans le secteur de la santé ? La violence est d’abord une violence sociétale. Beaucoup de gens vivent dans une véritable exaspération au quotidien. Ceci est un élément fondamental. Puis, nous sommes aussi dans une société où beaucoup considèrent qu’ils ont beaucoup de droits, mais pas de devoirs. On assiste à une perte de la civilité, de la politesse… Cependant, les responsabilités sont partagées. Il convient certainement aussi de s’interroger sur les process de santé, sur la façon de travailler : éviter les temps d’attente trop longs, notamment aux urgences. La société est certes violente, c’est un fait, mais il faut aussi sans cesse s’adapter.

Quelles solutions préconisez-vous pour canaliser cette violence ? La solution la plus efficace et la moins réaliste serait de mettre un professionnel de sécurité derrière chaque médecin. Il nous faut d’abord analyser les violences et leurs causes. Pourquoi les choses dérapent-elles à un moment donné ? Les causes sont quasiment toujours les mêmes : les patients ne sont souvent pas à jour dans leurs droits (carte vitale non actualisée) ce qui mène à des conflits au niveau de la prise en charge ; les retards aux consultations sont également sources de conflits ; le fait de donner des médicaments génériques etc. Les refus sont également très mal perçus : le refus de délivrer un arrêt de travail, par exemple. Dans ce cas, les responsabilités sont partagées parce que le patient vit très mal le fait qu’on lui refuse ce qu’il considère comme un droit, mais il est peut-être aussi de la responsabilité du médecin d’expliquer pourquoi il dit non et d’amener ce refus avec plus de tact.
Il y a certainement un travail de communication à faire au sein des personnels de santé afin d’apprendre à anticiper les situations de conflits et de savoir les gérer correctement.
Nous venons de faire une première vidéo (d’une série de trois vidéos) de cinq minutes, avec l’Institut national de la formation de la police nationale de Clermont-Ferrand, consacrée à l’agression d’un médecin par un patient violent. Cette vidéo nous servira de base didactique dans des réunions organisées par les forces de l’ordre dans les différents départements. Cela permettra aux médecins d’analyser et de comprendre l’origine du conflit et la façon la plus appropriée de le gérer. Que s’est-il passé en amont ? En aval ? Et qu’aurions-nous pu faire pour prévenir cette situation ? Cette vidéo a été présentée aux Conseils départementaux la semaine dernière et va servir de base à la réflexion auprès des médecins.
La seconde vidéo est consacrée à l’insécurité en visite de ville à travers l’histoire d’un médecin dijonnais de SOS Médecins qui a été agressé. Et enfin, la troisième vidéo sera consacrée à la gestion de la violence. Il faut savoir anticiper ou prévenir une crise, mais si elle se produit, il faut apprendre à réagir face à la violence et essayer de pacifier l’individu violent. Ces trois vidéos seront disponibles à partir de décembre auprès des Conseils départementaux et serviront d’animation lors de soirées organisées pour les professionnels de santé. Ce sont donc des exemples d’outils que nous essayons de mettre à disposition dans le cadre du Protocole national pour la protection des professions de santé signé en avril 2011 entre les ministères de la Santé, de l’Intérieur, de la Justice, les sept Ordres des professionnels de santé et les syndicats. Ce protocole est en cours de déclinaison sur tous les départements ; c’est-à-dire qu’un protocole identique sera ajusté, adapté à chaque département, en fonction des réalités locales. Chaque département disposera d’un référent sécurité pour la police, un autre pour le conseil départemental et un autre auprès des médecins. Ce dernier sera chargé de leur donner des conseils concernant la sécurité de manière locale par exemple. Il y aura aussi un référent police pour la déclaration des événements, des plaintes etc. Enfin un numéro de téléphone dédié sera mis à disposition pour avoir un accès direct à la cellule de sécurité départementale.
Il y a également des outils de vidéo-surveillance que nous souhaitons développer avec les collectivités locales. Il s’agit de mettre l’entrée des cabinets médicaux dans l’axe des caméras de surveillance publique dans les zones sensibles. Nous souhaitons également développer, avec l’accord des préfets, la vidéo-surveillance à l’intérieur des cabinets médicaux, dans les salles d’attente notamment. En cas de plaintes, cela permettra plus aisément d’identifier les personnes à l’origine de problèmes et ces vidéos pourront alimenter les éventuels dossiers juridiques.
Nous souhaitons aussi développer des détecteurs tels que des boîtiers électroniques de sécurité que les médecins auront sur eux. Ils serviront de téléphone et seront dotés d’un bouton d’urgence en cas de difficulté ou de détresse. Le signal est alors directement retransmis au régulateur qui pourra géo-localiser et identifier le médecin en détresse.
À Nîmes, par exemple, un autre dispositif est en cours d’essai : le médecin peut inscrire son numéro de téléphone sur une liste spéciale de numéros auprès de la police ou de la gendarmerie locale et, en cas de problème, il peut appuyer sur une touche programmée de son téléphone et son appel est pris en priorité. D’autres travaillent déjà avec les centres interurbains de vidéo-surveillance qui sont prévenus de l’arrivée du médecin dans un quartier, notamment dans les zones un peu sensibles. Le médecin peut positionner son véhicule dans l’axe de ces caméras publiques, il peut prévenir de son arrivée sur place et signaler lorsqu’il a terminé sa visite. La police peut ainsi le suivre grâce à la caméra.

De quelle manière le Conseil de l’ordre peut-il influer, interagir, peser sur les actions à mener ? Nous essayons de faire le lien entre ces différentes solutions. Nous essayons ensuite de voir si les solutions sont adaptables d’un département à un autre. Nous essayons de plus en plus de développer des partenariats avec les forces de l’ordre, avec les antennes du ministère de l’Intérieur et nous veillons à ce qu’il y ait un véritable maillage du terrain et une vraie collaboration entre les différents acteurs. Notre rôle est aussi très important concernant l’aide aux médecins. Si un médecin est agressé, nous sommes là pour le guider, le conseiller, l’aider à déposer sa plainte. On met tout en œuvre pour accélérer les procédures et l’aider à analyser toute la situation. C’est également comme cela que nous pouvons juger de l’efficacité des mesures que nous mettons en place et les affiner si nécessaire.
C’est un véritable travail de fourmi, souvent au cas par cas, et il faut que le Conseil national de l’ordre s’implique pareillement sur tout le territoire. Nous faisons un travail de sensibilisation des Conseils départementaux afin de pouvoir travailler de façon partenariale, avec procureurs, préfets, forces de l’ordre et ARS. Nous ne pourrions rien faire seuls. Sur 75% des actes de violences émanant des patients, nous pouvons agir concrètement.