3 questions au docteur Yves Léopold, médecin généraliste

Suite à la journée noire de mardi dernier, organisée par l’UFML pour alerter sur le burn-out des médecins, interview dudocteur Yves Léopold, médecin généraliste à Avignon, auteur de plusieurs études sur le burn-out et le suicide des médecins.

 

Comment se manifeste, de manière générale, le burn-out ?
On entend par burn-out un épuisement professionnel chez des gens qui se surinvestissent dans leur travail. Il s’agit d’une pathologie avec des symptômes très précis selon trois axes d’évaluation principaux : l’épuisement émotionnel (anxiété, fatigue, état dépressif), la dépersonnalisation (perte d’empathie, endurcissement, agressivité) et la réduction de l’accomplissement personnel (estime négative de soi-même, incapacité à faire évoluer une situation). Cela est mesurable de façon exacte grâce aux échelles de Maslach ou MBI. Le suicide est l’étape ultime résultant de cet état.

Comment se situe la France en matière de burn-out et de suicide chez les médecins ? Est-ce un phénomène nouveau ?
Le phénomène de suicide chez les médecins n’est pas récent puisque nous avons des données qui remontent au début du 20e siècle. Les études anglaises qui sont menées tous les dix ans montrent que cela n’évolue guère au fil du temps. La France se situe dans la moyenne internationale concernant les chiffres de burn-out et de suicides, mais elle est dans le déni et accuse un retard considérable concernant les mesures pour combattre ce fléau. Il ressort des études que le taux d’exposition au suicide des médecins de 30 à 65 ans, installés et en activité, est de 2,37 en France (entre 2 et 2,5 dans les pays développés) alors qu’il est en moyenne de 1 dans le reste de la population. On peut établir un portrait robot des médecins les plus menacés : une femme de 48,5 ans, psychiatre, généraliste ou anesthésiste. Les anesthésistes sont particulièrement touchés puisqu’ils sont exposés au stress et disposent de substances efficaces pour se suicider… Le Conseil national de l’ordre m’a commandité une étude en 2003, mais les chiffres n’ont été ni assumés, ni divulgués. C’est un an et demi plus tard que je les ai publiés sur Internet. Après cela, nous avons commencé à en parler plus et l’Association d’aide aux praticiens médicaux libéraux (AAPML) a mis un numéro de téléphone à la disposition des médecins. En Catalogne cela fait vingt ans que l’on prend en charge les médecins dépressifs et alcooliques ; aux États-Unis cela existe depuis les années 40, en Grande-Bretagne depuis 1955. La France est le seul pays développé à ne pas avoir adopté une politique corrective pour endiguer ces problèmes. La Norvège, par exemple, a été capable de passer d’un facteur de surexposition de 2,20 à 1, cela signifie que l’on peut améliorer la situation si on le veut.

Dans le secteur de la santé, quelles sont les populations à risque ?
Deux populations sont particulièrement sujettes au burn-out : d’une part les libéraux à cause de la surcharge de travail, les horaires excessifs, la déstructuration de la vie familiale, les pressions de la CNAM… et d’autre part les soignants salariés en raison des conflits de carrière, de la pression des hiérarchies, de la cadence de travail, du sexisme, du racisme, de l’agressivité des patients. Mais le problème principal est le dilemme éthique du médecin qui est constamment confronté à des décisions cruciales quant à l’avenir de ses patients et souvent à leur mort. Cette accumulation de décisions et cette confrontation à la mort sont dures à vivre. Nous observons également que le médecin ne se soigne pas ou mal et ces personnes sont plus enclines à subir un burn-out. Même pour nous médecins, il n’est pas évident de recevoir l’un de nos confrères pour une consultation et de le traiter en patient. Les médecins du secteur 2, par exemple, dépensent pour leur santé 300 fois moins que les autres patients. Au vu de leur réticence à se soigner, nous avons fait ouvrir des structures composées de médecins spécialisés qui accueillent leurs confrères malades, mais, en France en 2014, le Conseil de l’ordre remet encore en cause l’existence de ces structures. Aujourd’hui, ce sont plus de 3 000 médecins en état d’invalidité pour cause de dépressions, d’alcoolisme, etc. sans compter ceux qui travaillent malgré leurs problèmes…