3 questions au Dr Fabrice Denis, oncologue à la Clinique Victor Hugo au Mans

Dr Fabrice Denis, oncologue à la Clinique Victor Hugo au Mans, titulaire du Trophée de la FHP 2014, dans la catégorie Publication médicale pour son application pour détecter les rechutes de cancer du poumon.

Vous avez développé une application web pour détecter les rechutes de cancer du poumon. Comment fonctionne-t-elle ?
Les patients de la clinique peuvent l’utiliser sur tout type de support : smartphone, PC, mac, tablette. Chaque semaine, ils rentrent dix symptômes qui permettent de détecter au plus tôt l’apparition d’une rechute : variation de poids, apparition de nodules, fatigue, perte d’appétit, essoufflement, sang dans les crachats, etc. En analysant ces données dictées par l’expérience clinique et un puissant algorithme mathématique, l’application permet de détecter une rechute. Les patients sont ainsi convoqués à la clinique seulement lorsqu’ils ont une rechute, et ils s’y présentent plus tôt, dès l´apparition des premiers symptômes. Notre objectif est d’améliorer la survie des patients. Des anciens praticiens ont salué cette application, car c’est en quelque sorte le retour de la clinique (autour du symptôme), après une phase où l’imagerie seule était reine. Au bout d’un an, les résultats sont extrêmement prometteurs. La totalité des patients interrogés étaient extrêmement satisfaits. Deux tiers d’entre eux ont déclaré n’avoir plus peur, grâce à cette application, quand ils viennent passer leur examen de suivi. Ils deviennent acteurs de leur propre santé. En cas de déprime ou d´angoisse, l’application vient pondérer d´elle-même les résultats des patients, et prend en compte leur état émotionnel. Lorsqu’il n’y avait pas d’alerte, les examens complémentaires étaient normaux sur la population étudiée dans notre article duJournal of Supportive Care in Cancer 2014. Et inversement, jusqu’ici, chaque fois qu’une alerte a été lancée, elle correspondait bien à une rechute.

Comment avez-vous eu l’idée de cette application ?
Je suis également chercheur au CNRS et ancien chercheur à l’INSERM en Biologie, et j´ai récemment découvert la théorie du chaos. J´ai pris contact avec le Professeur Christophe Letellier, spécialiste de ce modèle mathématique à l’université de Rouen, et nous avons décidé de travailler ensemble à d’éventuelles applications de cette théorie en cancérologie. À la base de la théorie du chaos, on établit qu’une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas ne pas voir, et que nous attribuons alors au hasard (effet Papillon). Cette théorie s’applique aux systèmes chaotiques dits « proies-prédateurs ». Nous sommes donc partis de l´idée qu’en matière de cancer, il valait mieux suivre l’évolution de la proie (le patient) plutôt que celle du prédateur (la tumeur, suivie en général en imagerie), car dans notre modèle, la proie permet de mieux voir l’évolution globale de la maladie et de son impact sur le patient. Nous démarrons maintenant un essai clinique de phase III, avec une étude clinique randomisée multicentrique, la première du genre à notre connaissance. Pendant un an, un groupe de patients aura le suivi habituel pour détecter la rechute d’un cancer des poumons, soit un scanner tous les trois mois, et un autre groupe consultera le cancérologue avec un scanner quand une alerte aura été lancée par l’application. Rendez-vous dans un peu plus d’un an pour les résultats !

Êtes-vous heureux d’avoir reçu un trophée de la FHP ?
Pour moi, c´est essentiel de montrer que le privé peut être pionnier en matière de e-santé. Cette application ouvre une nouvelle ère dans le suivi des cancers. Dans un futur proche, nous espérons pouvoir la généraliser à d’autres formes de cancers.