Dr Philippe Cuq, président de l’Union des chirurgiens de France (UCDF) et co-président du Bloc, le syndicat des chirurgiens.
Quel est l’état d’esprit des médecins/chirurgiens que vous représentez à quelques jours de la manifestation nationale du 15 mars contre le projet de la loi de santé?
Les médecins libéraux, chirurgiens, anesthésistes et obstétriciens que nous représentons, éprouvent un ras-le-bol complet face à un texte de loi qui comporte des points extrêmement dangereux pour l’exercice libéral les soignants et, donc, pour les patients. Les propos de la ministre de la Santé, lors de sa conférence de presse lundi matin, ont été ressentis comme une humiliation ! Le dédain qu’elle affiche face aux professionnels de santé est incroyable : sur le tiers payant généralisé, elle est allée jusqu’à affirmer qu’elle imposerait dans la loi un délai de paiement par l’assurance maladie de sept jours, suivi de sanctions en cas de non-respect… Marisol Touraine envisage donc dès à présent le non-respect de la loi ! La tâche risque d’être compliquée pour les médecins qui vont se lancer dans des recours contre la sécurité sociale ! Nous avons sûrement d’autres choses à faire. Cette loi est un mélange d’idéologie et de manipulation politique : on fait croire aux Français que la gratuité des soins est juste, mais en vérité, si elle est nécessaire pour certains, qui en bénéficient déjà, ce projet de loi va coûter très cher et pénaliser soignants et patients. Selon certains économistes, le coût de la mise en place du tiers payant généralisé s’élèverait à un milliard d’euros. La gratuité pénalise la qualité, car elle dévalorise l’acte médical et l’acte de soins plus globalement. Par ailleurs, le problème du rôle de l’assurance maladie et l’opacité des remboursements par les complémentaires de santé est posé. Mais les Français, à en croire les sondages, sont de moins en moins dupes devant ce que je considère comme de la démagogie pure ! Ils ne seraient plus que 60 % à être d’accord avec le projet de rendre l’accès aux soins gratuit. L’exemple du Royaume-Uni, dont le National Health Service repose sur le tiers payant généralisé et ses indicateurs de qualité médiocres devraient nous servir de leçon. Cette loi va coûter très cher aux patients, et elle va détruire un système de santé pourtant meilleur que beaucoup d’autres. Le secteur libéral en matière de santé est une grande chance pour notre pays. Cette loi n’a qu’une ambition : détruire notre système de soins ! Et ce alors qu’une vraie loi de santé est nécessaire pour s’attaquer aux vrais problèmes : démographie, revalorisation des soins de proximité, diminution du coût de l’hôpital public, développement de la chirurgie ambulatoire, politique de prévention… Il y aurait beaucoup à faire.
Votre syndicat revendique le retrait de la loi de santé : est-ce un combat perdu d’avance?
Nous sommes maintenant dans un débat purement politique, avec un calendrier particulier, notamment des élections la semaine prochaine. Nous savons que la santé reste l’une des préoccupations majeures des français et que le 15 mars, les professionnels de santé de toutes générations, de toutes spécialités et de toutes régions se rendront en masse à Paris pour manifester et dénoncer cette loi, qui représente un grave risque pour notre système de santé. Le pouvoir exécutif va être attentif à cette mobilisation et en tirera des conséquences.
Quel espoir avez-vous de voir l’article 26 du projet de loi réécrit ?
Les trois dernières réunions du groupe de travail sur le Service public hospitalier (SPH) ont été annulées, au dernier moment, par le ministère. Lors de sa conférence de presse, la ministre a menti en affirmant que les problèmes étaient réglés. C’est faux ! Aucun amendement, aucun texte n’a été proposé. Cet article entend lier l’appellation SPH aux autorisations de soins et aux financements et secteur d’exercice conventionnel des praticiens. Mais il y a une anomalie majeure : dans le secteur public, certains médecins exercent avec des dépassements d’honoraires – autre mensonge de la ministre en conférence de presse quand elle a affirmé le contraire ! – et c’est même à l’hôpital public que les dépassements sont les plus élevés. Il ne s’agit plus de croire aujourd’hui en des déclarations d’intention, mais de voir des amendements validés. Nous n’avons rien vu d’écrit, alors arrêtons la manipulation. En réalité, je trouve le constat terrifiant : on ne pourra pas réécrire entièrement la loi, mais c’est pourtant l’esprit de cette loi – anti-libérale et contre le secteur privé – qu’il faudrait changer. Cela ne va pas se faire avec quelques amendements. Nous ne savons pas ce qui peut se passer en politique, si le texte peut encore être retiré, mais ce que nous savons, c’est que l’esprit de cette loi ne convient pas.