Agnès Verdier-Molinié,

Directrice de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP), auteure du livre Ce que doit faire le (prochain) Président.

Selon vous, quelles seraient les 2 ou 3 premières grandes décisions que doit prendre le futur Président de la République en termes d’organisation du système de santé ?

Quatre symptômes témoignent des problèmes de notre système de santé : complexité pour les citoyens, mécontentement des professionnels de santé, coût excessif et déficit, lenteur des progrès techniques et organisationnels. Les premières décisions devront donc clairement s’engager en faveur de l’évaluation et de la responsabilisation des différentes parties prenantes.

Il faudra d’abord mettre fin à la distinction entre l’Assurance maladie de base et les complémentaires et mettre en concurrence régulée au premier euro les CPAM, les mutuelles (53 %), les Instituts de prévoyance (28 %) et les sociétés d’assurance (19 %). Cela permettra d’économiser plusieurs milliards d’euros par an en coûts de gestion. Avec son système où deux assureurs interviennent, en aveugle, pour la plupart des soins, la France a les coûts de gestion de la santé parmi les plus élevés du monde avec 14 milliards d’euros par an ! Les pays qui ont réussi à faire baisser ces coûts de fonctionnement ont choisi de mettre leurs assureurs santé en concurrence et d’ouvrir leurs données de santé. Un élément sur lequel la France est aussi à la traine. À terme, il faudra certainement aussi mettre en place un système de franchise afin de responsabiliser tous les acteurs. Au passage, le gouvernement sortant a fait exactement l’inverse en généralisant le tiers-payant…
En matière d’hospitalisation, la réforme de l’hôpital public devra être centrale avec beaucoup plus d’autonomie pour les gestionnaires d’hôpitaux, la suppression à terme du statut public hospitalier et l’augmentation du temps de travail annuel des agents. Cela passe, comme dans d’autres pays d’Europe (ex. Allemagne, Suède) par la mise en délégation de gestion de certains hôpitaux.  Aujourd’hui, la France dépense 11 milliards d’euros de plus par an pour ses hôpitaux que l’Allemagne.

Quelles seraient les 2 ou 3 bonnes idées des systèmes de santé de nos voisins européens que nous devrions adopter (ou nous inspirer) ?

En matière de santé, la France pourrait s’inspirer des réformes introduites aux Pays-Bas et en Allemagne par des gouvernements socio-démocrates ou socio-libéraux. En Allemagne, depuis le 1er janvier 1996, les caisses sont en concurrence et chaque citoyen est libre de choisir la caisse (excepté certaines professions comme les agriculteurs) et peut en changer librement (et le fait en pratique). Les caisses sont des organismes autonomes de droit public gérés par le privé, sous la tutelle du ministère fédéral de la Santé ; et afin que la concurrence ne s’oriente sur la sélection des assurés et de leurs risques, la grande coalition SPD-CDU a créé en 2009 un « fonds de santé » (Gesundheitsfonds), qui centralise l’ensemble des cotisations et recettes fiscales avant de reverser aux caisses des dotations standardisées en fonction du risque de leurs assurés – âge, sexe, morbidité. L’État impose un taux de cotisation unique (15,5 %, 7,3 % pour l’employeur et 8,2 % pour le salarié, auquel s’ajoute depuis 2004 0,9 % pour les soins dentaires) et un panier minimum de soins identique pour toutes les caisses, qui peuvent proposer ensuite des assurances supplémentaires. La définition du panier est transparente et fait l’objet d’un débat politique afin de définir les soins que la société considère comme les plus utiles, et ainsi, d’exercer une meilleure régulation des coûts. Les assurances en concurrence sont les « aiguillons » du système de santé, car ce sont elles qui paient et qui disposent de l’expertise et des données statistiques à même d’apprécier la qualité des soins.

En matière de médicaments, la France dépense 15 % de plus que l’Allemagne. Encore une fois, la France est en retard quand l’Allemagne a fait le choix d’ouvrir ses caisses à la concurrence dès les années 1990 pour pouvoir amortir le coût de la réunification. Résultat, depuis 2004, l’Assurance-maladie en Allemagne est… excédentaire. Un peu de courage alors, et nous aussi, nous pourrons dire : nous avons sauvé notre Assurance maladie !

De son côté, le Royaume-Uni, pour dynamiser son système de santé étatisé, a mis en place deux réformes très souhaitables en France : renforcement du rôle et des moyens du médecin généraliste et autonomie des hôpitaux publics sous forme de fondations.

Quel sera l’impact de ce système sur les fournisseurs de soins ?

Ce système sera plus exigeant pour les personnels et les structures de soins, mais plus motivant et plus juste. Des professionnels de santé pourront proposer des modes de rémunération, des formes de pratiques et des techniques innovants auxquels ils tiennent. Avec la fin des tarifs attribués en fonction de la nature du propriétaire des établissements de soins, les prix seront fonction de la qualité des soins. Et au lieu de dépendre du jugement d’un seul organisme (l’État-CNAM) les fournisseurs de soins seront évalués par différents organismes acheteurs, une source de complexité mais une protection contre la partialité, les erreurs de jugement et les routines. Ce système sera favorable aux meilleurs professionnels qui seront reconnus, et aussi aux autres qui seront encouragés à se former, à s’améliorer ou à se reporter sur des actes plus simples. Comme pour la sécurité des bâtiments ou de la nourriture, l’État conservera naturellement la responsabilité de fixer les niveaux obligatoires de qualité et de les contrôler.

Quel sera l’impact de ce système sur les assurés et les malades ?

Transparence et concurrence devraient permettre à la fois d’économiser plusieurs milliards sur les frais de gestion et sur les soins en améliorant leur qualité dans la mesure où les patients seront mieux informés et mieux guidés dans leur parcours. Les personnes qui le souhaiteront pourront continuer à adhérer à un système d’assurance aveugle prenant en charge leurs dépenses sans intervenir ni au niveau de la prévention, ni dans leur choix des soignants ni dans leur parcours de soins. De son côté, la solidarité entre assurés sera nettement améliorée puisqu’un mécanisme de compensation sera mis en place entre assureurs au premier euro pour lutter contre les effets de la sélection des risques.

« Ce que doit faire le (prochain) Président », aux éditions Albin Michel, janvier 2017