Propos recueillis le 27 septembre lors du 9e Congrès des représentants des usagers de la FHP-MCO.
Qu’est-ce que le CCNE ?
Le CCNE est le Comité consultatif national d’éthique. Nous sommes 40 personnes très multidisciplinaires : un tiers de médecins et de scientifiques, des philosophes, des juristes, des anthropologues, etc., et récemment 3 représentants de la société civile. Le CCNE est un organe de réflexion, il émet des avis sur de grands sujets autour de la bioéthique et est devenu l’opérateur des États généraux sur la révision de la loi bioéthique 2018–2019.
La bioéthique, c’est essayer de trouver un équilibre entre d’une part les avancées de la science et de la médecine, particulièrement rapides depuis quelques années (avec un renouvellement des connaissances de 50 % tous les 5 ans) et d’autre part les avancées de la société qui elles évoluent à des vitesses différentes. La France a changé, la notion de famille a changé, la France est plus urbaine qu’il y a 40 ans, de grandes orientations sociétales se sont faites. Les avancées de la science ne sont pas toujours sources de progrès : il y a réellement progrès lorsqu’elles apportent quelque chose aux citoyens et aux patients. Sinon, cela peut être de très belles avancées au niveau des connaissances, mais ce ne sont pas forcément un progrès. La bioéthique essaie de trouver cet équilibre difficile, entre admettre que la science existe et avance, et qu’elle peut être source de progrès, et en face la société civile qui elle-même évolue et va utiliser en fonction des pays, des temps, de la culture, un certain nombre de ces avancées scientifiques.
Comment organise-t-on un débat citoyen démocratique autour de la santé ?
Je suis persuadé que c’est un enjeu majeur pour notre pays, dans les 3 ou 4 années qui viennent. La France a toujours souhaité avoir le meilleur système de santé du monde mais qui coûte cher. On est au bout de quelque chose, on est rentré dans une ère massive de business et santé, et il va falloir faire des choix stratégiques. Ces choix sont ceux des médecins, ce sont également des décisions politiques mais cela ne tient pas s’il n’y a pas une vision citoyenne du système de santé.
Quatre grands outils ont été utilisés pour mener la discussion : le web, des débats en région (280 entre janvier et fin avril 2018), des auditions (sociétés savantes de scientifiques, grandes instances de santé, associations de patients, etc.), et un comité citoyen de 22 personnes, sélectionnées par une entité autonome, composé de 11 hommes et 11 femmes, des Parisiens, des provinciaux, des manœuvres, des intellectuels, des gens d’opinions différentes, des gens de couleurs différentes, etc. Nous leur avons demandé d’avoir un regard critique sur l’ensemble du processus. Au-dessus de tout cela il y avait un médiateur, pour écouter, et c’est Louis Schweitzer, l’ancien PDG de Renault, qui répondait tous les 15 jours aux questions et réclamations.
Puis, vous avez rendu un rapport de synthèse et un avis publié le 25 septembre…
On a rendu un rapport de synthèse, très neutre autour de l’ensemble des questions soulevées. Nous avions mis dans le périmètre des États généraux 9 thèmes autour de la bioéthique. Il y avait deux grandes questions sociétales, dont il était difficile de ne pas en parler : la fin de vie et tout ce qui est autour de la procréation. Ce n’est pas directement issu de l’innovation biologique ni des avancées scientifiques, mais ce sont des sujets sociétaux majeurs. On avait 7 autres thèmes qui étaient plus des thèmes de bioéthique : la recherche sur l’embryon, la génomique, l’intelligence artificielle, les données de santé, la santé environnement qui est aussi quelque chose de nouveau, les dons d’organes et la transplantation et les neurosciences. Sorti de ces États généraux, un 10ethème très transversal est la place du citoyen dans le système de santé. Cela nous a paru évident.
De plus, nous avons décidé d’émettre une opinion de manière à guider les décideurs, ceux qui vont construire la loi, la discuter et la voter. Nous nous sommes arrêtés sur différents sujets avec des « positions », mais en bioéthique ce n’est pas blanc ou noir. Nous touchons à l’humain et nous n’avons pas un consensus global, donc nous avons remis des opinions nuancées sur les réformes des différents sujets avec « une position », que nous avons appelée « avis d’assentiment majoritaire. » C’est un processus de construction de pensées partagées.
Le message que je continue à faire passer aux décideurs est : « N’oubliez pas ce 10e thème majeur qu’est la place du citoyen dans notre système de soins. On ne peut pas parler de médecine du futur, sans parler de patient du futur. »
La loi bioéthique déposée fin novembre sera discutée courant du premier trimestre 2019.