Au cours des débats du PLFSS 2019, un forfait de réorientation des urgences vers la ville a été instauré par un amendement adopté par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Il serait versé aux établissements de santé lorsqu’un patient se présentant aux urgences sans caractère de gravité est réorienté vers les soins de ville.
L’idée de financer la réorientation d’un patient pour désengorger les services d’urgence peut apparaître séduisante, mais elle ignore au moins trois principes de réalité.
Le premier réside dans le fait que, pour réorienter, il faut des médecins de ville disponibles. Or dans de nombreux territoires, les médecins généralistes sont déjà surchargés et ne peuvent faire face à un afflux supplémentaire de patients dans le cadre d’une activité non programmée. Et en cas de redirection d’un patient vers un praticien autre que son médecin-traitant faute de disponibilité, les relations entre la médecine de ville et les services d’urgence risquent de se détériorer. Sans l’adhésion et l’organisation des médecins de ville, point d’issue.
Le deuxième principe de réalité concerne ce qui est attendu au niveau du service des urgences dans la réorientation. Les équipes vont dans un premier temps devoir évaluer que le patient est sans gravité et ne nécessite qu’une simple consultation sans examen complémentaire. Puis elles devront organiser un rendez-vous pour le compte du patient. Dès lors qu’une évaluation médicale s’impose et que la responsabilité des professionnels et de l’établissement est engagée, la charge de travail – et donc la rémunération – ne sera pas inférieure à ce qu’elle est pour un passage classique aux urgences.
Le troisième principe de réalité a trait au libre choix qui est laissé in fine au patient. Si, comme cela est proposé dans l’exposé de l’amendement, le patient pourra refuser la réorientation et sera alors pris en charge aux urgences, alors il y a de sérieuses hypothèques sur la réussite d’un tel dispositif.
Nous devons collectivement trouver des solutions pour désengorger les services d’urgence. L’organisation d’une réorientation des patients à partir des établissements de santé, en plus d’avoir un certain coût, ne va pas sensiblement diminuer la charge de travail des équipes hospitalières. C’est en amont des services d’urgence qu’il faut changer l’orientation. Et si l’on veut laisser au patient le libre choix de son lieu de prise en charge, il faut lui proposer dans les cas bénins une réponse alternative aux services d’urgence qui lui convienne davantage.
Le délai de prise en charge est bien sûr le premier critère sur lequel nous devons travailler. Mais il faudra aussi considérer la dispense d’avance de frais, qui est un élément décisif pour les patients défavorisés. Autant de critères contraignants à concilier avec un exercice déjà difficile pour les médecins de ville. Il faut donc imaginer de nouvelles organisations en ville, qui permettent à la fois de répondre rapidement aux besoins de proximité des patients et de proposer aux médecins des conditions d’exercice attractives.