Natacha Espié, présidente de l’association Europa Donna France

Focus Fil Rose du 05 novembre 2019

Après 15 ans d’existence du Programme de dépistage organisé du cancer du sein, le chiffres stagnent et les 70 % de couverture de dépistage chez les 50-74 ans peinent à être atteints. Pourquoi est-ce si difficile ?

Les raisons sont multiples, personnelles et psychiques, liées à la peur de la maladie, mais aussi conjoncturelles et sociétales. Le dépistage organisé pâtit beaucoup de la campagne de dénigrement qui sévit depuis plusieurs années, à l’instar des campagnes anti-vaccination, qui bénéficient d’une large couverture médiatique et sèment le doute. La mammographie qui peut être parfois douloureuse a aussi mauvaise presse. On a beaucoup de mal à faire entendre que le dépistage sauve des vies en détectant des tumeurs à un stade précoce et peut épargner aux patientes des traitements lourds et difficiles. Je déplore ce type de campagne qui touche aujourd’hui également la chimiothérapie.
Il y a également une confusion entre dépistage et prévention. Beaucoup pensent que se faire dépister permet d’éviter d’avoir un cancer, ce qui n’est pas vrai. C’est un autre débat.

S’il y avait une action ou une idée pour motiver les femmes à se faire dépister, quelle serait-elle ?

Il faut continuer à parler du dépistage organisé et informer les femmes de manière claire en les prenant pour des sujets de santé, des citoyennes éclairées. L’information est le nerf de la guerre. Après, les agences de publicité peuvent réfléchir à des campagnes. Je pense par ailleurs que les médecins et les personnels de santé ont leur rôle à jouer. Les dames qui font un dépistage ont été convaincues soit par leur gynécologue, soit par leur médecin généraliste. Aujourd’hui, les sages-femmes peuvent jouer également ce rôle. Améliorer les statistiques du dépistage passe automatiquement par une bonne information et formation des personnels de santé.

La polémique du dépistage, ou pas, est franco-française, alors que le dépistage organisé se base sur les recommandations européennes. Europa Donna est une association représentée dans 47 pays. Il y a des pays où on ne remet absolument pas en question le dépistage organisé.
Autre point important, le dépistage organisé est gratuit, accessible à toutes les femmes, quelle que soit leur catégorie sociale et socio-professionnelle. Toutes peuvent bénéficier d’un parc radiologique et d’outils de qualité, de même être prises en charge par des professionnels experts du sujet. C’est très démocratique.

La perception du cancer du sein évolue-t-elle en France ?

Je pense qu’Octobre Rose a le mérite d’exister, même si l’on sait bien qu’il y a un peu de « marchandisation » dans ce mouvement. On donne au cancer du sein une certaine visibilité dans la société. C’est à la fois important pour les patientes qui ne vont pas se sentir exclues, qui ont la possibilité de s’exprimer et en même temps il y a une mobilisation qui transcende la société. Il y a d’autre part les levées de fonds pour la recherche qui sont faites. Cette mobilisation a toute sa raison d’être également parce qu’elle permet de faire évoluer les mentalités. Aujourd’hui les patientes doivent pouvoir bénéficier d’un parcours global, y compris d’un accompagnement post-cancer, avec notamment comme l’a indiqué la ministre de la Santé Agnès Buzyn fin septembre, d’un suivi psychologique, diététique et de l’activité physique, pris en charge par la Sécurité sociale.

Qu’avez-vous fait au mois d’octobre ?

Europa Donna a fait une exposition à l’Assemblée nationale, accessible aux députés et aux journalistes. L’exposition a été inaugurée par son président Richard Ferrand et par la marraine de cette exposition la députée Mireille Robert. Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations et Sophie Cluzel, secrétaire d’État en charge du handicap, étaient là également. Notre exposition reprenait toutes les étapes de la prise en charge du cancer du sein, en partant du dépistage, puis les traitements, et enfin les actions d’Europa Donna. Cette exposition, itinérante, va tourner sur toute la France. Sinon, Europa Donna a organisé le 13 octobre au niveau de l’ensemble des délégations nationales, une journée pour les femmes atteintes de cancers métastatiques. Je pense que c’est important qu’on s’occupe bien d’elles. Elles n’ont pas toujours un accompagnement suffisant.