Alain Trouillet, président de France Rein – Focus du 27 Mars 2020

Quelles sont les difficultés que les patients dialysés rencontrent actuellement ? 

Le plus gros problème que nous rencontrons actuellement est la protection des patients dialysés atteints du Covid 19 et leur maintien en isolement. Chaque séance de dialyse correspond à des prises de risques supplémentaires pour les patients. Chaque président de région de France Rein a écrit une lettre à son ARS pour signaler le manque de protections (gants, masques, blouses, etc.). La présidente de la région Île-de-France m’a signalé que son ARS a réagi immédiatement et fait en sorte que les centres de dialyse soient approvisionnés. Le deuxième problème est l’isolement des patients contaminés. La dialyse se fait en général dans de grandes salles, aussi nous espérons que des mesures seront prises rapidement par les centres, même si cela relève parfois du challenge.

D’autre part, les transplantations rénales sont stoppées. Le risque d’infection est particulièrement élevé chez le patient récemment transplanté en raison du traitement immunosuppresseur renforcé des premières semaines de greffe. Les sociétés savantes ont analysé ce risque, et consulté la totalité des équipes de greffe rénale en France. À l’unanimité, la communauté des médecins transplanteurs de rein considère aujourd’hui que le risque est supérieur au bénéfice.

France Rein va mettre en place un numéro vert pour soutenir les patients dialysés et confinés, et qui sont parfois isolés. C’est une période particulièrement difficile pour eux, aussi une cellule psychologique pour les soutenir moralement est nécessaire. Le label de France Rein est « réseau solidaire en action ». En cette période inédite de crise sanitaire d’une extrême gravité, nous avons vocation à être aux côtés des insuffisants rénaux. 

Vous venez d’être élu président de France Rein, qu’auriez-vous souhaité rappeler lors de la semaine annuelle du rein annulée pour cause de coronavirus ?

L’épidémie du coronavirus nous rappelle la fragilité de nos organisations, elle renforce la nécessité d’information et de prévention des maladies chroniques, en premier lieu de l’insuffisance rénale. Les personnes greffées ou dialysées sont plus à risques, ce sont des personnes plus fragiles. Je suis greffé, je fais donc très attention quand je me déplace.

Ainsi nous devons plus que jamais informer le public sur les symptômes que l’on peut ressentir sans le savoir. La maladie rénale est silencieuse Nous voulons éviter les dialyses en urgence pour des patients qui n’avaient aucun symptôme au préalable et dont les reins étaient pourtant gravement malades. En effet, 30 % des patients dialysés en urgence ignoraient tout de leur état. La prise de tension, le test urinaire pour connaître les protéines uriques, puis une prise de sang si nécessaire sont des gestes de prévention à multiplier.

Notre première cible est la population diabétique à qui il faut rappeler que le diabète est une source de maladie rénale. Les maladies rénales doivent être médiatisées au même titre que le diabète. Notre deuxième cible est celle du grand public à qui il faut rappeler les règles d’une bonne hygiène de vie. Pour mener ces actions, nous avons besoin de bénévoles dont nous manquons cruellement. Les bénévoles non malades sont les bienvenus, il suffit qu’ils aient envie de tendre la main, d’être utiles à autrui.

Votre priorité est la qualité des soins délivrés, comment ?

Il y a des discussions actuellement pour un forfait unique pour la dialyse. Nous demandons simplement que la qualité des soins soit la meilleure possible, et que le projet de vie des patients soit pris en compte au maximum dans sa prise en charge. Je serai vigilant sur la qualité des soins, par exemple dans des centres qui seraient amenés à faire évoluer leurs prestations de soins. D’autre part, des territoires nous remontent des difficultés de transport pour les dialysés. C’est le cas par exemple à Nantes où les patients ont des difficultés considérables à trouver un taxi ou une ambulance. Notre surveillance est régionale au jour le jour et nos actions nationales. Notre organisation est une fédération de 24 associations régionales, qui disposent aussi de représentants des usagers dans les établissements. Nous sommes donc très connectés au terrain. Nous intervenons auprès des établissements à l’amélioration de la prise en charge de façon positive mais également dans le cas de manquements graves qui nous seraient signalés. Nos représentants des usagers sont la voix des patients dialysés et greffés.

Où en est-on en France au niveau des transplantations ?

Il y a eu moins de greffes de reins en 2019 qu’en 2018. Nous constatons beaucoup trop de décès de patients dialysés en attente de greffe. Pourtant la loi est favorable au prélèvement d’organe mais un tiers des familles refuse le don d’organe dans le cas d’un décès de proche. L’agence de biomédecine a beaucoup communiqué sur la démarche et va le refaire en juin prochain. La loi dit : chacun est un donneur potentiel, sans avoir à donner son avis. Mais le sujet est tabou et n’est pas évoqué en famille : on se heurte à un mur au moment du décès qui permettrait le don, c’est insupportable. Par ailleurs nous souhaiterions de plus que le donneur d’organe vivant soit protégé car aujourd’hui, malgré la réglementation, il subit les conséquences, notamment financières, du don. Par exemple il ne peut pas obtenir de prêt bancaire. On peut donner son rein jusqu’à 80 ans pour une personne très proche, même s’il est reconnu que les reins, à l’instar de tous les organes, déclinent à partir de 60 ans.

Quels sont vos projets ?

D’ores et déjà au sein de France Rein, nous devons faire évoluer nos statuts qui ne sont plus adaptés à notre époque. Les chantiers ne manquent pas ensuite. Je souhaiterais accroître les actions dédiées aux enfants dialysés et greffés. Chaque année, des vacances d’été pour des adolescents greffés ou dialysés entre 12 et 20 ans sont organisées à Arcachon. Transport, hébergement, loisirs et soins sont pris en charge, financés par des aides, des dons. La vie d’un jeune dialysé de 15 ans est difficile et je voudrais aller plus loin mais la première difficulté est d’entrer en contact avec ces jeunes patients. La plupart de nos régions font déjà beaucoup : visites durant leur séance de dialyse à Noël, organisation de week-ends, rapprochement des familles, mais nous aimerions aller encore plus loin.

Je souhaiterais également développer des actions en direction des aidants, ceux par exemple qui gèrent une dialyse péritonéale à domicile. L’idée pourrait consister à généraliser l’une de nos actions : une journée avec les aidants qui sont très isolés, comme les patients dialysés dans les 24 régions, avec un déjeuner en commun et des interventions de psychologues et diététiciens.

Pour conclure je dirai que le sens de la solidarité est une absolue nécessité dans le domaine de la santé, que ce soit pour être bénévole ou accepter le don d’organe. Nous avons besoin les uns des autres. L’épidémie actuelle nous le rappelle de façon impérieuse.