1,2, 3 Questions du 31 mars

Stéphan de Butler d’Ormond, Président du Groupe Santé Victor Pauchet, SantéCité

« J’ai sur le cœur, un enjeu de santé publique »

L’exigence des textes en matière de protection a été abaissée entre la directive ministérielle du 13 mars qui recommande le port des masques FFP2 et/ou chirurgicaux toute la journée, et celle du 16 mars qui ne les recommande que dans certains cas. Cette deuxième directive s’est adaptée au principe de réalité du fait de la pénurie des stocks sur le territoire français, mais cette pénurie a pour conséquence d’affaiblir la ligne de front plus exposée au COVID et nous avons à déplorer trop d’arrêts maladie de médecins et soignants, dont nous avons absolument besoin pour faire face aux soins aux malades.

J’ai donc alerté durant les deux dernières semaines l’ARS, la préfecture, le conseil régional des Hauts-de-France, le MEDEF, le ministère de la Santé, la FHP, pour proposer de déroger au seul marquage CE des importations de masques, dans la mesure où nous pourrions accéder à un nombre très important de masques normés asiatiques. L’État a donné raison à cette proposition appuyée par la FHP et beaucoup de syndicats de médecins, en autorisant ces importations vendredi dernier.

Ensuite, au sein de SantéCité, notre clinique s’est invitée également dans la dynamique de recherche. La société Décathlon nous a permis de tester certains de leurs produits comme masque barrière, ces tests quoique concluants sur le plan barrière n’ont pas eu le succès escompté des professionnels de terrain. Actuellement, nous testons et contribuons à la conception d’un masque tissu barrière produit par un industriel du textile en Hauts-de-France. L’effet barrière avant et après lavage du tissu a été testé par le CHU d’Amiens avec un taux de filtration très proche des actuels masques chirurgicaux. Avec nos médecins réanimateurs, nous testons l’ergonomie, l’humidité sur les lunettes, la facilité de respiration, etc. Nous en sommes à la 4e version de ce produit qui fait l’objet d’une demande de certification par la DGA (direction générale des Armées), et prochainement l’AFNOR.

Pour remettre la France en ville et au travail, il faudra consolider le confinement et maintenir les effets barrière. En Asie tout le monde porte des masques, et il me semble que seule une telle mesure sera de nature à permettre de prévenir une reflambée de l’épidémie avec un nouveau confinement (en plein été !). Pour équiper la France de 2 à 3 masques par jour et par personne, il faudrait 1 milliard de masques par semaine à partir du 15 avril !

Nous alertons aussi à la FHP sur les médicaments de réanimation très critiques qui viennent à manquer – les stocks sont épuisés, et toute la planète en recherche. C’est la sécurité médicale et l’éthique du soin qui sont en jeu.

De 33 patients COVID vendredi au sein du Groupe Santé Victor Pauchet, nous en sommes à une quarantaine ce matin, avec 6 intubés ventilés. Ces patients étaient principalement déjà hospitalisés chez nous. Nous avons eu à déplorer plusieurs décès à cause du COVID, mais aussi des patients qui sont sortis, bien soignés.

À SantéCité nous constatons des situations de transfert de patients du fait du débordement de l’hôpital public, les admissions ne s’étant pas faites régulièrement sur l’ensemble des établissements de santé organisés COVID. C’est comme un barrage qui lâche du fait d’un niveau de pression mal équilibré quand le point critique est atteint, avec une perturbation majeure pour le personnel et un désordre qui auraient pu être évitables.

Le Groupe Santé Victor Pauchet dispose d’un secteur de réanimation COVID de 6 à 10 lits et de 3 services dédiés COVID dont deux services de médecine, et un service d’obstétrique d’urgence et d’hospitalisation COVID, avec traitement d’air adapté, où 3 mamans COVID+ peuvent être accueillies. Deux centres avancés COVID+ ont été ouverts pour les enfants fébriles à Amiens, et un autre généraliste en zone rurale, à Hesdin. 10 lits COVID de SSR complètent le dispositif à Corbie. La rééducation des patients post réanimation s’annonce très lourde avec des prises en charge respiratoire, neurologique et traumatologique. Seuls certains auront la capacité d’y répondre.

Au front, il n’y a pas que les soignants mais aussi les standardistes, les directeurs, les techniciens de maintenance, les personnels administratifs, les pharmaciens, les brancardiers, etc. Je souhaiterais que nous ayons une pensée pour tous les professionnels qui travaillent avec les soignants. Il n’y a pas de demi-courageux, ils le sont tous, la peur est bien présente. Nous avons confiance en eux.

Je salue leur engagement, et le soutien de la population et des politiques à leur égard.

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Dominique Boulangé, présidente du CMC Ambroise Paré / Pierre Cherest / Hartmann, Neuilly-sur-Seine

« Je n’avais pas prévu une telle crise ! »

Même 8 jours avant, je n’y croyais pas. Tout était en place dans l’établissement car je suis un bon petit soldat mais je n’y croyais pas. Nous ne pensions pas à un tel raz-de-marée.

À la Clinique Ambroise Paré, nous avions au départ 16 lits de réanimation et nous en avons aujourd’hui une cinquantaine. Nous prenons en charge environ 80 malades COVID+ dont une trentaine en réanimation. Pour l’essentiel, ils sont transférés par l’hôpital public. Une dizaine étaient déjà hospitalisés dans notre établissement et se sont révélés positifs, dont des patients hémodialysés et d’autres en cancérologie, qui ne sont pas en réanimation. Ils sont tous très instables. Par ailleurs, nous allons accueillir à la Clinique Hartmann, tous les patients en chimiothérapie non COVID de l’Hôpital Beaujon, accompagnés de deux médecins de chez eux.

Nous avons dû former des soignants très rapidement et avons bénéficié de ressources humaines volontaires complémentaires via la plateforme régionale « medco ». Nous n’avons plus de visières ni de de casaques. Nos médecins ont des contacts avec des personnalités du show-business et certaines ont proposé leur aide dont Anne Roumanov. Résultat : nous faisons fabriquer des tabliers comme ceux de nos grands-mères avec des manches dans les ateliers de Agnès B. Des chefs d’entreprise nous ont donné des masques, des combinaisons de peintre… Le stock de masques qui nous a été distribué était périmé depuis 12 ans, et même si les élastiques n’étaient pas endommagés, psychologiquement pour les soignants qui sont très attentifs aux dates de péremption, cette situation est très inquiétante. J’ai un médecin réanimateur qui est lui-même en réanimation depuis 10 jours, on se bat pour lui et pour les autres.

Nous allons ouvrir une quinzaine de lits supplémentaires en réanimation grâce au renfort en équipement (pousse-seringue, etc.) d’établissements hospitaliers proches. Heureusement cette entraide existe ! 

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Patrick Wisniewski, directeur de la Clinique de l’Orangerie, Strasbourg, Elsan, président de la région FHP Grand Est

« Le tout n’est pas de démarrer, il faut durer maintenant »

Si le matériel et les consommables EPI nous faisaient le plus défaut au cours des semaines précédentes, c’est aujourd’hui le personnel qui commence à manquer car les personnels soignants commencent à être dépistés COVID+ à leur tour. Nous sommes sur le pont maintenant depuis 15 à 20 jours. Nous avons démarré avec les effectifs les plus qualifiés, en provenance des services d’USC et de SSPI, puis avons commencé à former de nouveaux personnels moins habitués à ces prises en charge. Mais la « réserve » diminue et nous tournons avec les mêmes équipes qui s’épuisent.

Suite à l’appel à la solidarité lancé par notre délégué Grand Est, la FHP Aquitaine a adressé des praticiens et des IADE. L’entraide fonctionne et ce, en dehors du clivage public/privé, il convient de le souligner. Nous le répétons : la prise en charge des patients COVID est très lourde et sera longue. Dès que nous serons au bout du cycle des premiers patients, stables mais hospitalisés depuis plus de 10 jours, nous pourrons faire des simulations pour la suite.

Nous avons armé 5 lits de réanimation dans l’ancienne unité USIC, avec une montée en charge possible à 8. Il convient de préciser que nous n’avons pas de service d’urgence.

Nous avons en revanche une unité de soins palliatifs où des patients ont été dépistés COVID+, et que nous prenons en charge selon les règles des patients COVID.

Dans le Grand Est, un très grand nombre de lits COVID en amont des lits de réanimation ont été armés. Tous les lits COVID d’amont réanimation sont aujourd’hui occupés et il nous faut libérer des lits de réanimation occupés par des patients stabilisés pour soulager Mulhouse, Colmar et Strasbourg, afin de nous permettre de pouvoir accueillir les 15 à 20 % de nouveaux patients entrants qui se dégraderont et nécessiteront une réanimation. C’est la stratégie qui est visée par l’armement de TGV sanitaires à destination des régions  Pays de la Loire et Nouvelle Aquitaine, ainsi que par les rotations aériennes avec la région de Poitiers et Niort, y compris avec nos amis allemands et suisses, afin de désengorger les lits de réanimation sur Mulhouse, Colmar, Strasbourg, Nancy et Metz, actuellement saturés, en prévision de la suite de cette « déferlante ».

Nous n’entrevoyons pas la fin de ce pic avant la fin de cette semaine.