1,2, 3 Questions du 07/04/20

Hauts-de-France – Vincent Vesselle, directeur de la Polyclinique Saint-Côme, Compiègne

Un retard à l’allumage

« Quand l’Île-de-France découvrait l’épidémie, nous étions à Compiègne au cœur de la crise depuis 3 semaines, le premier patient COVID étant décédé dans l’Oise le 25 février. Avec le recul, les généralistes de la ville nous indiquent que des symptômes comme les pertes de goût et d’odorat étaient déjà apparus depuis la fin janvier. Le virus était donc déjà présent. À Compiègne, nous avons toujours travaillé main dans la main avec l’hôpital et nous avons immédiatement fait face ensemble. Nos équipes soignantes se sont rencontrées et se sont mises d’accord sur les circuits patients, pour bien définir les missions de chacun.

Des conférences téléphoniques avec les directions des hôpitaux de l’Oise, le SAMU 60 et l’ARS ont ensuite permis une meilleure coordination territoriale.

On s’est senti très isolé au début

Nous avons été l’un des premiers clusters COVID-19, et de fait le « département test ». Nous avons subi beaucoup d’improvisations dans les décisions de l’État, avec des conduites à tenir peu claires et changeant en permanence, sur le port des protections, la gestion des patients et du personnel contact, etc.

Le lendemain du décès du premier patient, la stratégie d’isolement du personnel contact asymptomatique a été très problématique et la perte de ressources soignantes nous a mis en grande difficulté. De même, apprendre un vendredi soir à 20h à la télévision que toutes les écoles seraient fermées dans l’Oise le lundi matin s’est révélé très compliqué à gérer avec les équipes, ce d’autant qu’aucune solution de garde n’était alors proposée.

Sur notre établissement, le foyer épidémique est rentré mi-février par le centre lourd de dialyse, l’un des plus gros du département. Des patients dialysés infectés puis hospitalisés, avant même que la crise sanitaire ne soit détectée, ont été un facteur de propagation. L’ARS nous a demandé de réaliser des enquêtes sur les personnes contact alors que l’épidémie était déjà partie et que nous avions d’autres priorités à gérer à ce stade.

Depuis 15 jours, les soins intensifs de la polyclinique ont été transformés en 8 lits de réanimation et nous avons 7 patients intubés. Une quarantaine de patients COVID + sont pris en charge dans l’établissement en hospitalisation conventionnelle. Nous avons recentré nos ressources sur l’accueil de patients COVID pour soulager le CH, sans oublier les autres pathologies, qui ne s’arrêtent pas avec le COVID-19. Nous continuons d’accueillir les urgences, les mamans à la maternité, les patients en dialyse, de même ceux en cancérologie (chimiothérapie et chirurgie), etc.

Nous devons également faire face à des réductions d’effectifs. La clinique fonctionne avec 25 % de personnel en moins, entre ceux qui sont malades et ceux contraints de garder leurs enfants.

Les approvisionnements en médicaments et en dispositifs médicaux vont être les prochaines problématiques à gérer.

Comme nous étions parmi les premiers établissements impactés nous n’avons pas rencontré trop de soucis d’approvisionnement en masques. Nous avons pu en commander et l’ARS nous en a fournis en puisant dans la réserve sanitaire.

Aujourd’hui, nous sommes plus tendus au niveau des stocks de surblouses. Nous faisons des appels aux dons sur les réseaux sociaux pour protéger le personnel, parce que la France, 6e puissance économique mondiale, n’est pas capable d’en fournir.

La rupture d’approvisionnement en médicaments qui se profile va être encore plus difficile à gérer que le matériel de protection. Si demain matin, le gouvernement n’est pas capable de nous procurer des molécules de curare et d’hypnovel par exemple, je ne sais pas comment nous pourrons continuer à faire de la réanimation. Actuellement, nous avons déjà de grosses difficultés à être approvisionnés et cela va empirer avec le développement mondial de cette épidémie, notamment aux États-Unis. Dès qu’un patient est intubé, nous multiplions par 20 nos consommations habituelles.

Il faudra se poser les bonnes questions à la sortie de cette crise sur nos capacités à assurer notre souveraineté industrielle dans le secteur de la santé.

Sortie du confinement

La sortie du confinement, nous inquiète beaucoup car nous avons assez peu de visibilité à ce jour et les décisions qui seront prises vont être cruciales pour la relance du système de santé en France. Nous espérons que la fin de cette crise sera mieux anticipée que son début. »

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Nouvelle-Aquitaine – Dr Olivier Jourdain, gynécologue-obstétricien, Polyclinique Jean Villar, Bruges, président des CME du groupe Elsan

En attendant la vague, échafauder tous les scénarios

« Sous l’égide de l’ARS, les acteurs de santé de la Gironde se réunissent pour un point téléphonique quotidien. Pour l’heure, des places en réanimation et en médecine sont disponibles partout. Nous restons extrêmement prudents autant sur l’arrivée de l’épidémie en Aquitaine que sur un éventuel effet rebond lié au déconfinement.

À la Polyclinique Jean Villar, nous suivons les recommandations au jour le jour. Nous avons déprogrammé toute l’activité chirurgicale sauf celle urgente et carcinologique : seuls 2 blocs sur 10 demeurent ouverts. Nous avons entièrement réorganisé les circuits patients et la salle de réveil a été réaménagée en 2e salle de réanimation de 10 lits, qui s’ajoutent aux 8 lits existants déjà augmentés à 12. Une dizaine de patients COVID – sont en réanimation. Par ailleurs, la nouvelle unité de 7 lits de médecine palliative en gériatrie COVID +, pour des patients récusés pour la réanimation, est quasi pleine.

La coordination se passe correctement avec le CHU de Bordeaux qui nous transfère des patients COVID – pour libérer des places chez eux, notamment quand ils accueillent des patients COVID + transférés des régions en tension.

Concernant la maternité, 2 circuits COVID +/– sont en place. Nous avons eu quelques cas suspectés qui se sont avérés négatifs, et à ce matin, nous avons une maman enceinte de 8 mois COVID + que nous surveillons à domicile. Son état n’éveille pas d’inquiétude mais elle-même est très anxieuse. Nous continuons les suivis de grossesses par téléconsultation mais aussi en présentiel, les patientes viennent seules sans accompagnant. Elles ont préalablement franchi le sas de protection à l’entrée où une prise de température, un questionnaire, etc. sont obligatoires. À la moindre suspicion, elles sont orientées vers l’unité de 20 lits de médecine COVID où des examens plus poussés sont réalisés : tests biologiques associés à un scanner pulmonaire qu’une équipe de radiologues rend immédiatement possible, monitoring, etc. Nous n’avons pas encore accouché de maman COVID +. Jusqu’à aujourd’hui, si le papa choisit d’être présent à l’accouchement, il se confine ensuite avec la maman. Mais les recommandations sont en train de changer, et en coordination avec le CHU, le papa resterait autorisé lors de l’accouchement mais ne reviendrait ensuite qu’à la sortie de la maman et du bébé. D’une manière générale, les mamans rentrent très vite à domicile entre J2 et J3 afin d’éviter le plus possible les contacts dans l’établissement.

Nous connaissons de fortes tensions sur le matériel, masques et équipements de protection, sur du matériel spécifique à la réanimation, et sur des molécules y compris d’antibiotiques. Par exemple, les systèmes clos nécessaires en réanimation sont fabriqués en Italie, les commandes sont bloquées à la frontière. Sans solution à court terme, nous devons nous adapter à d’autres industriels qui pour certains ne sont pas en capacité de fournir. Les circuits de distribution d’équipements sont extrêmement fragiles.

Nos médecins libéraux sont très volontaires

25 confrères se sont portés volontaires pour faire fonctionner l’unité de médecine COVID qui n’accueille pour l’heure que des cas suspectés. Ils ont des compétences techniques éloignées de celles requises et s’organisent en binômes : un chirurgien avec un médecin doté d’un profil plus interniste, par exemple, un chirurgien orthopédiste et un gastro-entérologue ou un chirurgien plasticien et un gériatre, etc. Des infirmières ont été formées par les réanimateurs et l’infirmière hygiéniste pour exercer aussi dans ce service. Le cas échéant, 2 réanimateurs sont toujours sur place dans l’établissement.

Par ailleurs, deux anesthésistes de l’établissement sont partis la semaine dernière à Mulhouse et sont rentrés vendredi soir. Quatre anesthésistes et plusieurs infirmières sont partis vendredi après-midi pour la semaine à l’Hôpital Henri Mondor à Créteil. Ils ont pris le train et vont aider leurs confrères.

Les équipes de soignants sont formidables et quasiment aucun arrêt de travail n’a été déposé. Tous sont inquiets à attendre que la vague arrive, étudient toutes les hypothèses, échafaudent tous les scénarios. Nous insistons auprès du CHU pour recevoir quelques premiers patients afin de parfaire les circuits et mettre les équipes en action.

Enfin, le bureau de CME du groupe Elsan, composé d’une vingtaine de représentants de toutes les régions et créé il y a 2 ans, prend pleinement son sens actuellement. Tous les mardis soirs, ce sont 30 à 40 confrères qui se connectent désormais pour bénéficier des retours de terrain des régions. Thierry Chiche, PDG du groupe y participe. Ce binôme corps médical/management n’a jamais été aussi nécessaire que maintenant. »

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Val de Loire Océan – Alain Foltzer, Président de la FHP Val de Loire Océan

La pression monte par manque de travail

« Pour l’instant, notre région est peu touchée par l’épidémie mais nous restons très prudents. Nous sommes dans l’attente, prêts à intervenir en cas de besoin. Nous avons eu le temps de nous préparer, aidés par un pilotage très correct de l’ARS Pays-de-la-Loire, et un peu moins efficace concernant celui de l’ARS du Centre-Val-de-Loire, où les établissements supports des GHT ont pris le leadership. Donc, avec un vrai pilotage de l’ARS, l’organisation territoriale se passe plutôt mieux. En Pays-de-la-Loire, où les fédérations hospitalières font un point hebdomadaire ensemble, je constate une vraie collaboration entre les deux secteurs public et privé : autorisations provisoires, prêts de personnels et de matériel, etc.

Concernant le matériel de protection, nous avons géré au départ une pénurie, puis la situation s’est débloquée, et aujourd’hui, à la réserve près des masques FFP2 dont l’approvisionnement s’améliore, la distribution fonctionne plutôt bien.

Notre région a accueilli 30, puis 20, puis 55 patients transférés d’Île-de-France ou du Grand Est. Certains d’entre eux ont été pris en charge directement par des établissements hospitaliers privés en région Centre, notamment NCT+ (Groupe Saint Gatien) à Tours qui dispose d’un héliport.

Notre problème est qu’aujourd’hui nos équipes n’ont rien à faire et ce désœuvrement commence à créer un peu de tension au sein des établissements. À l’inverse des autres régions en tension, ici, la pression monte car il n’y a pas travail.

Certains anesthésistes de Vendée sont allés aider leurs confrères du secteur public. Les groupes nationaux, Elsan et Vivalto, ont détaché des médecins de notre région vers l’Île-de-France. Localement des établissements de santé privés sans service de réanimation ont prêté des équipements et proposé des ressources humaines aux établissements publics proches.

Quand l’heure de la sortie de crise sera venue, une réflexion avec la médecine libérale devra être menée sur les problèmes régionaux de gouvernance. Les GHT ont émergé et piloté le territoire, le secteur privé est resté à leur service. Quelle sera demain l’organisation territoriale alternative au GHT ? Quelles seront les autorisations du secteur privé ? Sur ce point, rappelons qu’aucun lit de réanimation n’est autorisé dans le secteur privé en Pays-de-la-Loire. »