1,2, 3 Questions du 02/06/20

Dr Philippe Cuq, président de l’Union des Chirurgiens De France (UCDF) et co-président de Le Bloc

Lever le plan blanc élargi !

Mis en place sur tout le territoire depuis le 13 mars, il faut aujourd’hui lever le plan blanc élargi. Il ne correspond plus à la situation sanitaire du pays, comme c’est le cas par exemple pour la grande région Occitanie où seulement 45 patients Covid sont hospitalisés en réanimation. Lever le plan blanc est aujourd’hui une urgence sanitaire. Depuis plus de deux mois, les patients avec des pathologies chroniques s’aggravent et nous voyons aujourd’hui des situations médico-chirurgicales très difficiles, avec des retards de diagnostic et de prise en charge, et indiscutablement des pertes de chance. Toutes les spécialités sont touchées. Même des chirurgies fonctionnelles ou esthétiques doivent pouvoir être prises en charge ! Nous verrons probablement dans les mois qui viennent une aggravation de la morbi-mortalité pour des pathologies non Covid.

Après la scandaleuse pénurie de masques et de matériel de protection individuelle, la réquisition par l’État de cinq drogues et l’impossibilité pour les pharmacies des établissements d’acheter ces drogues nous inquiètent beaucoup. Il n’y a pas vraiment de transparence dans cette gestion et dans la répartition dans les régions, et aucune visibilité pour nos activités. Est-ce une question de prix ? Pourquoi depuis trois mois la production mondiale de ces drogues n’a pas suffisamment augmenté ? Cette crise met en évidence l’extrême dépendance de notre pays vis-à-vis de certains produits et médicaments.

Il est urgent de réfléchir et de mettre en place au niveau européen, mais aussi sur le territoire national, ce que nous appelons « la réserve sanitaire matérielle ». Cette réserve sanitaire, à l’échelon du territoire de santé, en cas d’épidémie, permettra de protéger les soignants et la population au moins pour les premières semaines.

Une reprise raisonnée, sécurisée et réversible

Le 13 mars l’ensemble des médecins libéraux et hospitaliers ont annulé leurs interventions et consultations, des milliers d’interventions et des millions de consultations…

Les régions françaises ont été touchées de manière hétérogène, mais le plan blanc élargi a été appliqué de façon identique sur tout le territoire. Dès la troisième semaine de confinement, nous alertions les pouvoirs publics sur la rupture importante des soins non-Covid. De nombreuses équipes médicales et chirurgicales ont été sous utilisées. Dès le 11 mai, nous avons appelé à reprendre les activités médico-chirurgicales pour tous les patients qui se dégradaient. La situation est vraiment schizophrénique, avec le plan blanc élargi toujours maintenu et des activités médico-chirurgicales qui reprennent ! Nous prenons nos responsabilités, aussi, que l’administration de la santé prenne les siennes.

Nous avons depuis plus de 2 semaines expliqué que cette reprise sera raisonnée, sécurisée et surtout réversible. En cas de nouvelle épidémie, nous sommes capables en moins de 24 heures de nous remettre en situation de plan blanc élargi !

Indemnisations

Nous avons été contrariés par le traitement financier différent entre les établissements et les médecins. Dès le 27 mars les établissements recevaient une dotation correspondant à environ 1/12 de leurs revenus annuels. L’aide de l’Assurance maladie uniquement basée sur les charges professionnelles est intervenue dans la première quinzaine de mai. Il y a là une différence notable de traitement. Toutefois, l’important est aujourd’hui de pouvoir prendre en charge tous les besoins médicaux des patients, afin d’éviter l’aggravation de la morbidité et de la mortalité due à cette crise sanitaire.

Nous devrons rapidement aussi tirer les leçons de ce drame et aider l’administration de la santé et l’exécutif à prendre les bonnes décisions.

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Dr Gasser, président de Avenir Spé

La demande en soins de la part des patients est importante or nous sommes contraints par le Plan blanc 

Les usagers n’ont probablement pas entendu le message subliminal des pouvoirs publics qui les incitaient à continuer à se soigner. Ainsi, depuis deux mois, la population n’a pas été consultée. Dans toutes les spécialités aujourd’hui, les patients arrivent dans nos consultations avec des tableaux cliniques beaucoup plus lourds, à cause d’un retard de diagnostic, puis d’une prise en charge. Les diabétiques, les asthmatiques, les patients avec des atteintes coronariennes par exemple, subissent une perte de chance. C’est un constat.

La demande en soins de la part des patients est importante or nous sommes contraints par le Plan blanc. Il y a 15 jours, avec l’ensemble des syndicats et des fédérations, nous avons déjà demandé la levée du Plan blanc sur des territoires où il n’y a plus, ou pas eu, d’épidémie. Cette situation est très délétère pour les patients.

De plus, les mesures de distanciation sociale nous obligent à changer profondément nos prises en charge et ont un impact sur les délais d’obtention de rendez-vous. Pour éviter des files d’attente, il faudra prioriser les urgences et déléguer des tâches. On peut s’organiser tout d’abord en conservant les téléconsultations et en mettant en place des postes d’infirmières de pratiques avancées qui pourraient nous aider à la prise en charge des patients.

Sinon, la restructuration que tout le monde demande, même au travers du Ségur de la santé – qui sera un Ségur de l’hôpital public -, se soldera par un échec. J’essaie d’être optimiste, mais cela sous-entend une action proactive.

Il est temps par ailleurs de stabiliser l’aspect financier comme c’est le cas pour l’hospitalisation privée si nous voulons conserver une dynamique libérale et de l’innovation dans notre pays. Cette stabilité financière ne passe pas forcément par l’augmentation du coût des actes mais doit passer par une évaluation du coût de la pratique, une étude nationale des coûts. Nous savons tous que des actes sont sous-cotés, comme la consultation de psychiatrie ou d’endocrinologie.