Dr Sophie Bauer, secrétaire générale du Syndicat des médecins libéraux (SML)
Nous sommes très en colère de la gestion de crise
Le Plan blanc a été imposé partout de façon identique, alors que certains territoires étaient peu touchés. Résultat : un arrêt brutal de tous les plateaux techniques, de nos activités, et des ruptures de soins importantes chez nos patients, qui ont encore aujourd’hui du mal à revenir consulter, alors que les circuits covid et non covid sont extrêmement bien identifiés. Quant à la pénurie d’équipements de protection, il ne faut pas oublier qu’un certain nombre de nos confrères ne doivent leur vie qu’aux dons d’industriels et d’entreprises ! Nous ne décolérons pas sur ce point, et nous n’avons pas fini de compter les nombreux décès parmi les médecins et les autres professionnels de santé.
Nous sommes également très déçus de la manière dont nous avons été traités du point de vue des aides allouées pour compenser nos pertes de revenus, liées d’une part au Plan blanc, et d’autre part au message diffusé qui conseillait d’appeler le 15, et qui a eu pour conséquences des saturations de lignes et la désertification de nos cabinets. Il y a une non-reconnaissance manifeste du travail accompli par les médecins libéraux, alors que 95 % des patients Covid ont été soignés en ville.
Il faudra garder en mémoire la réactivité, la flexibilité des établissements privés et des médecins libéraux et leurs équipes durant la crise Covid, capables d’armer une réanimation en moins de 24h. De même, qu’en cas d’extrême urgence, on voit bien que le régime d’autorisations peut s’assouplir et que le secteur privé assume entièrement ses responsabilités.
Reprise, des patients en rupture de soins
Nous accueillons dans nos cabinets des patients qui ont été en rupture de soins et qui arrivent dans des états – en particulier les patients chroniques -, pour le moins calamiteux, des pathologies qu’on ne voyait plus depuis 30 à 40 ans ! Leur prise en charge médicale en cabinet et chirurgicale et anesthésique est extrêmement lourde. Nous avons obtenu la consultation complexe post confinement, toutefois, la date limite d’utilisation de cette cotation est totalement inadaptée à la situation, vu leur nombre.
Nous cumulons d’autre part les contraintes qui freinent la reprise : le nombre de lits disponibles, les circuits patients, les mesures d’hygiène drastiques, les limitations imposées par les salles d’attente partagées, la distanciation sociale, etc.
Dans les solutions, nous voyons clairement la téléconsultation, qui selon nous devrait être facilitée pour la consultation préopératoire, chaque fois que possible, puisque de toute façon les patients sont revus soit la veille, soit le jour de l’intervention par l’anesthésiste.
Nous demandons l’ouverture de négociations conventionnelles
Nous souhaiterions qu’elles ne soient pas contraintes par le ministère, tel que le prévoit la loi Touraine, mais menées par les négociateurs eux-mêmes, c’est-à-dire la caisse d’Assurance maladie et les syndicats représentatifs de médecins.
La crise a mis en évidence l’importance de la réanimation en anesthésie-réanimation, le rôle du réanimateur, certes intrinsèque à la fonction d’anesthésiste mais pas vraiment valorisé ni rémunéré, que ce soit en pré- ou post-opératoire, alors que c’est une vraie responsabilité. Actuellement, la nomenclature ne le prévoit pas.
Concernant le ministère, dans l’immédiat et c’est une urgence absolue, nous revendiquons l’annulation des cotisations Urssaf pour les mois de mars à juin, car notre activité a été et reste fortement impactée. Les compensations de charges obtenues auprès de la caisse d’Assurance maladie et autorisées par le gouvernement sont clairement insuffisantes.
Nous demandons également la création des numéros de régulation libérale 116-117, pour soulager les urgences des hôpitaux publics et permettre une meilleure réactivité de la part des médecins libéraux.
D’autre part, nous souhaitons la reconnaissance de ce que nous appelons les équipes naturelles de proximité, le médecin traitant, le spécialiste clinique ou chirurgical, IDE, kinésithérapeute, pharmacien, etc., qui se positionnent autour du patient, à sa demande. Nous demandons la reconnaissance de leur coordination, avec une lettre clé ajoutée à l’acte.
La crise a révélé l’importance du numérique, aussi, le SML demande que les systèmes d’information soient interopérables avec les logiciels et que cette intégrabilité des systèmes d’information devienne obligatoire. Il nous faut également la portabilité des logiciels, cela ne peut passer que par voie législative.
Enfin, le SML demande la reconstitution des stocks d’État en matériels de protection. La gestion des stocks ne doit pas passer par les hôpitaux publics, de même une plus grande transparence au niveau des molécules en pré-rupture.
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Dr Étienne Fourquet, président du Syndicat national des anesthésistes-réanimateurs de France (SNARF)
Où est la valorisation de notre engagement ?
Je note tout d’abord qu’il y a eu une réelle synergie entre les praticiens durant la crise épidémique. Les anesthésistes-réanimateurs libéraux ont pleinement joué leur rôle dès lors que l’hôpital public a pris conscience qu’il n’arriverait pas à faire face tout seul à la crise. Notre spécialité, dans ses composantes anesthésie et réanimation, a bien été identifiée.
Je déplore que l’administration et la puissance publique n’aient pas pris la mesure de l’importance de la place du secteur libéral dans la résolution de cette crise. Ils n’ont pas vu davantage l’impact économique sur les entreprises que représentent chaque praticien libéral et ses salariés. La compensation des charges n’est que partiellement adaptée à cette réalité. Nous aurions préféré finalement que nos entreprises soient réquisitionnées, et soient ainsi rémunérées comme les établissements privés. Où est la valorisation de notre engagement dans la rédaction de protocoles, de mise en place d’unités de réanimation, de conversion de salles de réveil en soins intensifs, d’installation de respirateurs, de formation des équipes, de coordination avec l’établissement ? La caisse explique que sans acte il n’y a pas de cotation du travail très important pourtant effectué. Ceux qui sont montés au front sont amers.
Contrairement aux médecins généralistes qui ont vu des cotations spécifiques apparaître, nous ne bénéficions pas de cotations différentes s’il s’agit d’un patient atteint du Covid. De même, il a fallu se battre pour que les tours d’astreinte et de garde soient reconnus. Pourquoi une inégalité dans le traitement des acteurs ? Où sont les complémentaires santé qui sont très silencieuses, alors qu’elles sont censées être des partenaires sociaux ?
Nous sommes heureux de reprendre l’activité
La reprise se fait selon des procédures très précautionneuses préconisées par les sociétés savantes ; elles sont cohérentes et sont amenées à évoluer. Elles ont un impact sur l’occupation des chambres, des salles d’opérations et de réveil. De fait, notre efficacité baisse d’environ 30 %, or les charges en termes de personnel demeurent identiques.
La centralisation des médicaments et notamment du Propofol et le rationnement qui en découle nous obligent à développer des techniques alternatives d’anesthésie loco-régionales ou à utiliser d’autres médicaments. Il nous faut nous adapter. Nous n’avons aucune information sur les stocks de médicaments et sur la consommation qui en est faite. Il faut veiller à ce que ce frein à la reprise d’activité n’aggrave pas davantage la situation sanitaire actuelle.
Je suis heureux, je fais mon métier, le contact avec les patients est excellent, et ils comprennent que toutes les mesures de sécurité sont nécessaires et doivent être respectées. J’ai la chance d’avoir un métier fantastique. Je n’oublie pas la cinquantaine de médecins décédés en France. Les premiers touchés ont été des urgentistes, des anesthésistes de réanimation, des généralistes. C’est 50 de trop.