1,2, 3 Questions du 15/07/20

Isabelle L’Hôpital-Rose, directrice de l’Hôpital Privé La Châtaigneraie, Beaumont

Le Plan blanc est levé et réactivable à tout moment

Nous avons repris environ 90 % de l’activité habituelle. Notre cellule de crise valide chaque semaine le planning du bloc. La continuité d’activité en maternité, cancérologie et celle des urgences main a naturellement été assurée. Nous sommes attentifs à la prise en charge de la douleur notamment en orthopédie et intégrons ce critère dans la priorisation des reprogrammations. Des patients ont mal, d’autres doivent retravailler à la rentrée, il est important de s’adapter aux attentes des patients au-delà du critère « perte de chance ».

Les patients ont retrouvé rapidement le chemin de l’établissement. Les cabinets des médecins avaient entretenu une communication tout au long du confinement et ont rappelé tous leurs patients pour faire un point et évaluer le bénéfice risque. Nous nous adaptons très rapidement car possiblement nos établissements sont à taille humaine. Une reprise progressive permet aussi au corps et à l’esprit de se remettre à l’ouvrage et d’accélérer le rythme. Bien sûr notre crainte est de ne pas avoir assez d’hypnotique et de curare donc nous maintenons un stock d’urgence ; aujourd’hui, nous pouvons répondre aux demandes de prises en charge. Nous connaissons par ailleurs des tensions sur les pyjamas de bloc.

Les médias racontent que c’est l’été mais nous rappelons de façon incessante les gestes barrières. Le port du masque est obligatoire, nous favorisons les chambres seules, des tests PCR sont réalisés de façon sélective, le marcher à droite et à gauche est maintenu. Le 11 juillet, nous avons levé simplement la prise de température aux entrées. Les visites seront limitées jusqu’à la fin de l’été puis nous ferons alors un point sur les nouvelles doctrines et notre expérience. Interdire les visites d’enfants en maternité par exemple était une bonne pratique il y a encore peu de temps, probablement nous la conserverons à moyen terme. Il faut certes favoriser le lien familial mais la sécurité également.

Au sein du réseau périnatal, les maternités ont adopté les mêmes pratiques : durant la crise la présence du papa était autorisée mais alors confiné avec la maman sans droit de sortie. Aujourd’hui, une visite par jour est autorisée mais pas celle des frères et sœurs. L’utilisation des réseaux sociaux permet de communiquer durant les 3, 4 jours de notre DMS.

La gestion de crise nous a amenés à repenser nos pratiques, à questionner nos habitudes. On a appris aussi à connaître l’infirmier de l’autre secteur, des savoirs se sont créés. Ce n’est pas un changement de pratiques mais une évolution, y compris dans le mode relationnel. La crise a fait émerger l’importance de la cohésion d’équipe et du bien-être des salariés. J’étais présente 7j/7 à la clinique, il était essentiel d’accompagner les équipes pour rappeler les mesures de sécurité, mais surtout les soutenir, s’enquérir de leurs nouvelles professionnelles et personnelles.

Notre région a été relativement épargnée par le virus et le CHU de Clermont-Ferrand était en première ligne. Nous avons accueilli quelques patients suspects aux urgences main, en maternité ou en médecine gériatrique, mais tous se sont révélés négatifs.

Les circuits Covid ont été mis en place mais n’ont pas servi. Tant mieux ! En 24h, tout peut être armé, refermé et nous pouvons répondre à toutes les demandes. Nous saurons faire et avec une très grande réactivité. J’ai levé le Plan blanc la semaine dernière, il peut être réactivé à tout moment.

Enfin, nous avons très bien travaillé avec l’antenne de Clermont-Ferrand de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes. Nous sommes venus en renfort d’Ehpad et d’établissements publics. Si nous avons bien traversé la crise, c’est grâce à des équipes professionnelles, un bon relationnel avec le corps médical, le soutien du groupe Elsan et celui des FHP régionale et nationale.

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Mathias Martin, PDG, Clinique Saint Hilaire, Rouen

La décision collective s’est imposée comme la clé à la gestion de crise.

Autant l’ordre de déprogrammation était clair, autant celui de reprogrammation n’a pas été très net. Mécaniquement, accueillir un seul patient par chambre réduit notre capacité d’hospitalisation d’environ 25 %, aussi, nous avons réouvert très progressivement les chambres doubles.

Concernant les mesures, une levée de doute est réalisée par chaque praticien en consultation. Le filtrage à l’entrée vérifie la levée de doute et les mesures barrières sont maintenues. Des tests PCR systématiques pour les patients hospitalisés en chambre double sont réalisés. Les visites sont limitées à des patients en fin de vie ou à des cas particuliers. La prise de température a toutefois été abandonnée, ne faisant pas la preuve de son efficacité. À l’instar de tous, au début de deconfinement il a fallu prendre des repères dans le foisonnement des recommandations des sociétés savantes, parfois confondantes. En Normandie, l’indicateur du taux de reproduction du virus est passé à 1,08. On constate aussi, même s’il est marginal, que le nombre de tests PCR positifs augmente. Nous sommes extrêmement prudents et devons rester en capacité de déprogrammer.

Pour moi, il était important de ne pas hiérarchiser les professions médicales ou chirurgicales au moment de la reprise d’activité, chacun s’est senti investi d’une responsabilité. Dans cette situation l’effort n’est consenti que s’il est partagé collectivement, aussi la restriction capacitaire a été proportionnelle pour tous. Nous avons réuni les médecins et travaillé en cellule de crise, ce qui prévaut encore actuellement. Cette organisation nous a révélé l’intérêt de la collégialité sur la prise de décision en gestion de crise. Cela a renforcé les liens entre les membres de notre groupe : le président de CME, un anesthésiste, la directrice des soins, la responsable qualité, et d’autres référents chaque fois que nécessaire. Le collectif a tout son sens dans une co-construction qu’il mérite de préserver.

Les patients ne sont pas revenus aussitôt et l’activité s’est régulée assez naturellement ce qui a été une bonne surprise, il n’a pas été nécessaire de restreindre la programmation.

Sur le plan social, nous n’avons pas changé notre organisation. Les congés étaient déjà accordés, il n’a pas été nécessaire de revenir dessus. Les salariés ont su s’adapter à la situation.

Je retiens toutefois que les rapports de force au sein de l’établissement se sont inversés : hier le programme opératoire donnait le rythme, c’est aujourd’hui le service hospitalier, et les multiples contraintes qui lui incombent, qui planifient l’activité. De plus, nous avons mené un travail avec les médecins pour revoir les DMS et optimiser le service ambulatoire. Les pratiques ont évolué, contraintes faisant.

Concernant notre consommation et les difficultés d’approvisionnement nous porterons un autre regard sur les achats.

Comme tous, nous avons connu et connaissons des tensions sur les équipements de protection. Nous n’étions pas correctement identifiés par nos tutelles, nos urgences cardio n’étaient pas prises en compte dans le risque d’exposition et dans l’approvisionnement contingenté hebdomadaire. Nous avons craint connaître les mêmes pénuries pour les 5 molécules mais les tensions se sont dissipées. Surtout, cela permet de prendre conscience de notre dépendance à l’égard des laboratoires. À l’avenir, il nous faut prendre en considération autant la sécurisation des approvisionnements que l’aspect économique. Nous devrons aussi nous interroger sur le lieu et les conditions de production et la question environnementale de nos déchets et mener une réflexion sur le dogme de l’usage unique.

Nous sommes conditionnés par les stratégies commerciales. Un nouvel équilibre bénéfice/risque et qualité/prix est à trouver demain.

Nous sommes fiers de ce que nous avons fait. Nous nous étions préparés à une vague qui n’est pas arrivée. À Rouen, le CHU a concentré la haute densité virale et nous étions en 2e, voire 3e ligne potentiellement. La région n’a pas été très exposée et la quinzaine de patients atteints du Covid que nous avons accueillie durant la crise est arrivée par les urgences en cardiologie.

Toutefois les équipes ne sont pas restées l’arme au pied. Elles étaient frustrés d’entendre des applaudissements et de rester en attente. C’est pourquoi des équipes de volontaires se sont rendues dans des Ehpad ou des centres spécialisés pour handicap. Leur rôle a été discret mais utile. Par ailleurs, spontanément 12 infirmiers sont partis 15 jours à la Clinique Ambroise-Paré à Neuilly pour renforcer leur service de réanimation. Le personnel s’est révélé et ça c’était une belle expérience !

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Samuel Kowalczyk, directeur général de la Polyclinique du Parc, Caen

La reprise se fait au prix de nombreux changements.

Notre région a été peu touchée par le virus. Au sein de la Polyclinique du Parc, en lien avec la coordination territoriale public/privé à laquelle nous avons été associés dès le début de crise, nous nous étions préparés à pouvoir faire face à un flux de patients : ouverture d’une unité de réanimation Covid, doublement des filières d’urgence et de maternité, création d’une unité de lits de médecine Covid, etc. Les médecins libéraux se sont largement mobilisés et ont pris des gardes et astreintes pour faire fonctionner cette nouvelle organisation.

Concernant la reprise, l’activité de chirurgie froide a redémarré progressivement depuis le 11 mai pour atteindre 50 % fin mai et 90 % en juin. Cette reprise se fait au prix de nombreux changements d’organisation afin de s’adapter aux nouvelles contraintes.

Parcours patients :

Fiche bénéfice-risque spéciale Covid, PCR systématique 48h avant l’hospitalisation pour la chirurgie programmée en coordination avec le laboratoire, questionnaire Covid réalisé 3 fois à la consultation anesthésique, à J-1 et J0, contrôle des accès et mise en place de caméras thermiques, port de masque obligatoire pour toute personne entrant dans l’établissement.

Les patients peuvent depuis début juin, selon des critères d’éligibilité définis et un protocole validé par le CPIAS régional, être hospitalisés en chambres doubles. Le maintien de la fermeture des chambres doubles aurait réduit notre capacité d’hospitalisation de 40 %.

Nouvelles instances :

Création en début de crise d’un état-major (6 cadres dont la direction), création d’un comité médical de crise sous l’égide du président de CME et de représentants de chaque spécialité. Ces instances ont été constituées en début de crise afin d’organiser au mieux la réponse de l’établissement et nous avons partagé et validé le plan de reprise tout au long de ces derniers mois. Aujourd’hui, un conseil de surveillance quotidien associant des cadres et des médecins priorise l’activité et la répartit en fonction de quotas par praticien.

Pénurie d’EPI et de médicaments d’anesthésie :

Bien que nous n’ayons pas souffert de rupture totale, nous avons été largement impactés, comme tous, par la pénurie initiale en masques et sur-blouses. Pour le bloc opératoire, nous allons être contraints de repasser au tissé pour les pyjamas de bloc, du fait de la pénurie nationale de l’usage unique. Dans notre réflexion d’alternative, nous avons pris en compte l’éventualité d’un nouveau blocage de la Chine et privilégié les fournisseurs locaux ou nationaux lorsqu’ils existent. Pour les molécules préemptées par l’État, une dotation nous a toujours été fournie du fait de notre activité importante en chirurgie carcinologique. Néanmoins, l’absence de visibilité d’une semaine sur l’autre et les faibles volumes livrés nous ont conduits à limiter le nombre de patients à opérer.

Un retard important à rattraper :

L’arrêt complet de la chirurgie froide hors cancérologie et urgences entre le 16 mars et la fin juin a eu pour conséquence la création d’une file d’attente de patients à prendre en charge. À cela s’ajoutent la période estivale avec des congés préalablement définis ainsi que le contexte pénurique durable de personnel qualifié tel que les IDE de bloc, qui nous empêchent d’envisager une augmentation du nombre de patients pris en charge. Notre capacité à absorber ce retard devrait malheureusement prendre plusieurs mois.

Sur le volet de l’innovation, boostée par la crise, je note deux points importants :

– L’essor de la digitalisation avec les outils de télémédecine qui, du fait du Covid, se sont fortement développés et qu’il est primordial d’intensifier.

– La modification de techniques opératoires et anesthésiques que la pénurie de molécules a entraînée, notamment en orthopédie où les anesthésies loco-régionales ont fait un bond en avant extraordinaire. Ces optimisations d’anesthésies permettent de baisser la durée de séjour. Les praticiens se sont adaptés à ces techniques qui garantissent une qualité de prise en charge similaire, mais demandent un changement de mentalité et de pratique. C’est un aspect très positif qu’il faut désormais pérenniser.

Il faut maintenant réaliser un Retex national et régional de cette crise pour faire évoluer notre système de santé et le rendre plus robuste pour les prochaines années. Nous attendons, comme tous les acteurs, les conclusions du Ségur de la santé mais aussi les déclinaisons concrètes qui vont en découler.

La crise n’est pas finie et nous devons rester vigilants pour être prêts à faire face à un éventuel rebond.