1,2, 3 Questions du 19/10/20 – Pr Céline Pulcini

Professeure Céline Pulcini, infectiologue, cheffe de Projet nationale à l’antibiorésistance au ministère des Solidarités et de la Santé.

Quels sont les enjeux de l’antibiorésistance en France ?

En 2015, 124 806 cas d’infections à bactéries multi-résistantes (dont 63,5 % associées aux soins) entraînant 5 543 décès ont été recensées en France (données ECDC). Nous restons en 2016 sur cet ordre de grandeur avec 139 105 infections dans les établissements de santé (données de la base PMSI).

En France, 80 % des antibiotiques sont prescrits en ville (70 % par les médecins généralistes et environ 10 % par les chirurgiens-dentistes) et 20 % dans les établissements de santé. Un tiers de ces 20 % sont prescrits aux patients hospitalisés, et pour le reste essentiellement prescrits lors des consultations, d’un passage aux urgences ou à la sortie du patient.

Les audits de pratiques montrent qu’environ un tiers de ces prescriptions est inutile, un tiers est inapproprié et un tiers approprié. Nous avons donc une grande marge de progression.

Quel est le coût de l’antibiorésistance ?

En termes de coût, selon le PMSI 2015, l’antibiorésistance représente 109 à 287 millions d’euros de coût supplémentaire pour l’établissement de santé, c’est-à-dire en moyenne : 1 103 euros et 1,6 jour supplémentaire par séjour hospitalier.

Par ailleurs, une étude de l’OCDE en 2017 montre que l’association de programmes de prévention/contrôle des infections et de bon usage des antibiotiques est synergique et permet de faire des économies puisque 1 euro investi rapporte 4 euros.

Sur l’aspect médico-économique, la Rémunération sur objectifs de santé publique inclut 4 indicateurs-cible pour les médecins généralistes et les pédiatres, intégrés dans ce dispositif de paiement à la performance des praticiens, et nous travaillons actuellement sur la mise au point d’indicateurs sur l’antibiorésistance mesurés de façon automatisée dans le dispositif Ifaq des établissements de santé.

Quelles sont les actions à mener ?

Tout d’abord, je vous renvoie à l’instruction aux ARS publiée le 15 mai dernier qui vise notamment à consolider, si nécessaire, le dispositif des référents en antibiothérapie et à mettre en place des équipes multidisciplinaires en antibiothérapie dans les GHT.

On observe que les programmes portés par les équipes opérationnelles d’hygiène et les référents en antibiothérapie ne sont pas déployés de manière optimale. Le principal frein est l’insuffisance des ressources humaines. 63 % des hôpitaux publics ou Espic, et 69 % des cliniques atteignaient ainsi en 2016 les objectifs recommandés de 1 IDE d’hygiène pour 400 lits et 1 praticien hygiéniste pour 800 lits. La situation est encore moins favorable pour les référents en antibiothérapie.

Des mesures phares ont été ou sont déployées. Retardée par la Covid, une grande campagne de marketing social est programmée par Santé publique France en 2021 à l’attention des professionnels de santé et en 2022 à celle du grand public (sauf imprévu). Un espace d’information sur Internet intitulé « Antibio’Malin » de promotion du bon usage des antibiotiques est disponible pour tous sur Santé.fr, également pour les médecins qui doivent justifier une non prescription d’antibiotique auprès de leur patient. Peu connue et très pédagogique, une fiche d’information ressemblant à une « vraie » prescription, non pas de médicament, mais de conseils est à la disposition des médecins. Une campagne nationale auprès des généralistes a été menée par l’Assurance maladie en 2019, assortie d’entretiens personnalisés pour les plus prescripteurs d’entre eux. D’une manière générale, de nombreux outils digitaux d’information ou de formation à destination du grand public, des jeunes, des professionnels de santé, existent.

Nous incitons les acteurs en région à développer des actions de prévention des infections et de l’antibiorésistance dans le cadre du Service sanitaire des étudiants en santé. Rappelons que cette thématique est une priorité dans tous les DPC. Par ailleurs, nous travaillons sur la construction d’un socle de compétences sur ce sujet que devraient avoir tous les professionnels de santé.

Enfin, nous avons obtenu cette année un financement pour que les ARS puissent mettre en place des centres régionaux en antibiothérapie dans toutes les régions (selon l’instruction du 15 mai 2020).

Pour aller plus loin, comme chaque année à l’occasion de la Journée européenne d’information sur les antibiotiques (le 18 novembre prochain), sortira un rapport de synthèse interministériel et inter-agences, coordonné par Santé publique France. Cette année, actualité oblige, il est axé sur la prévention des infections respiratoires.