Interview – Héléna Revil

Mieux comprendre le renoncement aux soins

Héléna Revil, docteure en science-politique, responsable scientifique de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore).

« Des inquiétudes se sont exprimées concernant la recrudescence de phénomènes de renoncement aux soins (…) Notre objectif est de disposer de données fiables et de consolider les informations disparates partant d’une enquête auprès de la population. »

L’équipe de recherche de l’Odenore, l’Observatoire des non-recours aux droits et services, rattaché au Laboratoire Pacte du CNRS, pose un regard au long cours sur les phénomènes de non-recours aux droits sociaux, de renoncement, de report, notamment en matière de santé, en utilisant les méthodes des sciences sociales. L’un de nos rôles est de construire de la donnée, quantitative et qualitative, pour mieux appréhender ces phénomènes peu visibles et pourtant loin d’être marginaux. En partenariat avec l’Assurance maladie, nous alimentons par exemple depuis plusieurs années un Baromètre du renoncement aux soins : dans cette enquête, 1 personne sur 4 déclare avoir renoncé ou reporté au moins un soin dans les 12 mois précédents. Qui sont ces personnes, quelles sont leurs caractéristiques socio-démographiques et les raisons de leur renoncement ? À l’Odenore, nous essayons de produire de la connaissance qui puisse nourrir les discussions scientifiques et qui soit également utile à l’action.

Très vite durant la première vague de la Covid, des inquiétudes d’associations d’usagers du système de santé, de professionnels du soin, ont été exprimées concernant la recrudescence de phénomènes de non-recours et de renoncement aux soins. L’Odenore a été sollicité pour travailler sur le sujet et nous avons décidé de prolonger notre baromètre habituel par un baromètre du renoncement aux soins ‘Covid’. L’objectif était de disposer de données fiables et de consolider les informations disparates qui commençaient à circuler, partant d’une enquête auprès de la population française. Nous avons allié nos forces, en mettant en commun l’expertise de l’Assurance maladie, la nôtre et celle de nos partenaires de longue date, en particulier le laboratoire HP2 de l’Inserm, la société Vizget et la Maison des sciences de l’homme Alpes.

Ce Baromètre du renoncement aux soins ‘Covid’ permettra par exemple de différencier les renoncements à l’initiative des personnes de ceux induits par la réorganisation du système de santé pour faire face à l’épidémie, et de déterminer les personnes les plus concernées par ces phénomènes, de même les types de soins (généralistes, médicaux, paramédicaux…). Le baromètre permettra également de regarder, pour cette période spécifique, dans quelle proportion les raisons habituelles de renoncement (problème financier, manque d’information, etc.) sont évoquées. Notre hypothèse est que d’autres explications vont apparaître : la peur de se rendre dans les cabinets médicaux à cause du risque de contamination, une mauvaise compréhension des consignes ou de certaines mesures du fait de leur caractère évolutif et complexe, le fait de ne pas se sentir légitime à se présenter dans une structure de soins alors que l’on entend partout que le système de santé est en tension…

Les résultats de cette enquête qui commenceront à être publiés courant novembre pourront aider à la décision et peut-être à la communication vers la population. Pour nous chercheurs, ils permettront d’orienter le contenu d’autres enquêtes dans le prolongement de celle-ci. Toutes les incidences sanitaires et sociales de cette crise doivent être observées.

Interview réalisée le 2 novembre 2020.