Dominique Pon, responsable stratégique de la transformation numérique en santé à la Délégation ministérielle du numérique en santé (DNS)
Que retenez-vous des résultats des « Ateliers citoyens du numérique en santé » menés durant presque deux ans dans plusieurs villes de France, et ceux de la grande enquête* nationale « Les Français et le virage numérique » présentés lors des Assises citoyennes du numérique en santé organisées le 19 novembre dernier par le ministère des Solidarités et de la Santé et la Délégation ministérielle du numérique en santé (DNS) ?
La e-santé va changer en profondeur notre système de santé. Les usagers, les patients, les citoyens que nous sommes en ont désormais pleinement conscience. Cette grande traversée d’une année faite d’échanges et de débats avec eux le montre. La digitalisation généralisée de l’espace social ne pouvait pas laisser la santé de côté. La crise de la Covid-19, dans l’urgence, a montré à quel point elle pouvait rendre service en permettant au grand nombre d’expérimenter de nouveaux usages et de nouveaux outils. Ces échanges, ces débats, ces ateliers, ces enquêtes ont indiqué à la fois la qualité du système de santé quant aux soins reçus mais aussi le besoin grandissant de simplification et de fluidification. Ces échanges citoyens indiquent la voie, montrent que les patients sont prêts et désireux d’avancer dans cette direction, qu’ils y voient comme une vraie révolution qui permettra de meilleurs échanges entre soignés et soignants et entre soignants, de mieux conjuguer la santé dans sa dimension individuelle et dans sa dimension collective. Cette e-santé, ils la veulent fidèle à une promesse d’universalité qui fasse cas des risques d’exclusion. Ils la veulent au service d’une meilleure collaboration et de plus de transversalité entre les acteurs. Ils la veulent pleinement au service de l’humanité qui préside aux soins. Ils veulent qu’elle soit pour eux le moyen de s’approprier pleinement leurs données de santé, pour les partager dans un cadre sécurisé par l’État.
8 Français sur 10 se déclarent prêts à utiliser le futur Espace numérique de santé que votre direction est en train de créer. Ils expriment toutefois 2 risques forts à leur utilisation. Quels sont-ils ?
La majorité des Français s’accorde à dire que l’ENS va faciliter le partage des données de santé avec les professionnels de santé et apporter une meilleure collaboration entre les professionnels de santé eux-mêmes. Mais également, ils sont nombreux aussi à exprimer deux risques forts quant à son utilisation : l’exclusion de patients non familiers avec la technologie ou n’y ayant pas accès. En effet, l’enjeu du virage numérique en santé sera de convaincre et « d’embarquer » les non ou faibles utilisateurs digitaux actuels, et en particulier ceux qui sont les plus impactés par la fracture numérique d’une façon générale. L’autre risque pointé est le manque de sécurisation des données (stockage, échanges, transmission hors champ médical), ce qui explique le taux modéré de consentement à l’utilisation et analyse des données de santé à des visées de recherche médicale.
En revanche, l’étude a montré une inquiétude moindre des Français concernant le risque de déshumanisation de la relation médecin-patient au travers de l’ENS, (mentionnée spontanément par 4 Français sur 10).
Cette co-construction ne s’arrête pas là. Quelles sont les prochaines étapes ?
Cette première démarche de co-construction qui se conclut ici est bien sûr aussi un point de départ. Ce dialogue entamé va se continuer à tous les échelons, avec les associations de patients, avec les citoyens, pour que derrière les enjeux technologiques, économiques, administratifs, se dessine un système de santé conçu par tous et pour tous. Si cette parole est entendue, si cette attente est comprise par tous ceux qui vont avoir la charge de faire advenir cette e-santé, alors cette vaste consultation aura joué pleinement son rôle, en faisant, par la co-construction, le pont entre expertise et expérience, entre la technologie et les usages, entre l’institution et le citoyen.
*Menée par Opinion Way en juillet 2020 sur un échantillon de 2 100 personnes (représentatif de la population française)