Dominique Boulangé, PDG du CMC Ambroise Paré, Pierre Cherest, hartmann, Neuilly-sur-Seine (92)
Aujourd’hui se tient la journée mondiale des femmes. Ont-elles un accès équitable à des postes de pouvoir selon vous ?
Mon sentiment personnel est que les hommes pensent que nous sommes une espèce en voie de disparition, en tout cas en termes d’égalité. En tout état de cause, ils ont repris sans vergogne les discours et les plaisanteries qu’ils n’osaient plus faire. Ont-ils jamais pensé appliquer des quotas dans l’autre sens ?
Je viens de passer un savon à une interlocutrice qui a osé m’appeler « ma petite dame ». Les femmes reproduisent les mêmes travers que les hommes. Dès l’école maternelle, l’éducation induit des comportements inégalitaires, inconsciemment sûrement. Quand à quatre ans, on encourage le petit garçon en gymnastique à monter sur la poutre en lui disant « sois courageux », on donne la main à la petite fille pour la rassurer.
Que constatez-vous depuis votre établissement de santé ?
Par conviction, j’ai toujours appliqué dans nos équipes une discrimination positive. Nous avons de plus en plus de femmes chirurgiennes mais elles me disent avoir de nombreuses difficultés à s’affirmer. Combien de fois n’ont-elles pas entendu « avez-vous un chirurgien homme à me conseiller ? » A contrario, cela arrive moins souvent aux praticiennes en médecine. Peut-être, les malades pensent-ils, à tort, que l’expertise en médecine est moins importante.
Les femmes sont majoritaires aujourd’hui sur les bancs de la faculté de médecine (60 % versus 40 % d’hommes), et bien que leurs pairs louent leurs compétences, les praticiennes ont plus de mal à développer leur activité. Les vieux réflexes perdurent. Des bruits de fond racontent que la féminisation de la profession entraînera son appauvrissement comme celle des infirmiers, des professeurs, des juges, etc. Certains médecins craignent ouvertement que cette féminisation entraîne des baisses de leurs revenus, à l‘instar de métiers féminisés devenus sous-payés. En ce sens, nous n’avons aucune chance que le métier d’infirmier se masculinise, c’est un métier si mal rémunéré !
Côté managers, il y a quelques années en Île-de-France, nous étions une majorité de femmes directrices d’établissements souvent de cliniques alors indépendantes. Aujourd’hui, en assemblée générale à la FHP Île-de-France, nous sommes minoritaires. Je regrette que les grands groupes nationaux dont les staffs sont quasiment tous ou en tout cas majoritairement masculins embauchent si peu de femmes managers. Les hommes n’embaucheraient-ils que des hommes ? Est-ce que cela les rassure ?
Comment voyez-vous le futur féminin ?
Avoir besoin de parler de futur féminin, c’est avouer qu’il y a un problème. Les femmes doivent s’affirmer, ne rien laisser passer, n’avoir aucune complaisance vis-à-vis des railleries soi-disant affectueuses… mais c’est épuisant et injuste d’avoir à être meilleure pour être reconnue. Avoir une position sociale « dominante » en tant que femme nous donne des responsabilités vis-à-vis des autres femmes, de celles qui sont surexploitées, de celles qui sont battues, de celles qu’on ne respecte plus… Je constate d’une façon générale une régression dans le respect de toutes les minorités, sommes-nous devenues une minorité comme les autres ?
Les femmes sont-elles prêtes à se battre pour faire face à leurs deux vies familiale et professionnelle ? C’est difficile de se battre au quotidien alors peut-être cherchent-elles des chemins de traverse, des solutions médianes. Je ne crois pas que les quotas soient une solution. J’ai refusé d’intégrer les conseils d’administration de grandes entreprises nationales venues me chercher pour répondre à un quota… et si ces quotas n’étaient qu’une excuse, une déculpabilisation ? À la Clinique Ambroise Paré, la semaine dernière, nous avons dû déprogrammer des opérations chirurgicales lourdes pour accueillir des malades atteints de la Covid. Une activité que nous avons rattrapée ce week-end. Les filles du bloc, mères de famille, étaient au travail. Mon amitié à toutes.