Fukushima : quelles conséquences sanitaires ?

10 ans après la catastrophe de Fukushima, le bilan reste difficile à établir. En cause : l’intrication de l’accident nucléaire en lui-même et des dégâts particulièrement dévastateurs du séisme et surtout du tsunami qui l’a suivi. Au final, l’accident a-t-il ou non entraîné des décès ? Qu’en est-il aujourd’hui de l’état sanitaire sur place ?

Fukushima, comparable à Tchernobyl ?

Le 11 mars 2011, un raz-de-marée colossal dévaste les côtes du Japon. Près de 20 000 victimes et plus de 2 500 disparus seront comptabilisés. Mais la catastrophe ne s’arrête pas là : la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi résiste au séisme, mais la digue de protection de l’installation, haute de 7 mètres, est submergée par une vague, aboutissant à la fusion partielle des cœurs des réacteurs. Les toits des bâtiments sont soufflés, libérant des composants radioactifs en quantité considérable. Heureusement, environ 80 % sont dispersés dans l’océan.

Les autorités japonaises réagissent instantanément : dès le 12 mars, l’évacuation est organisée dans un rayon de 20 kilomètres autour de la centrale, avec, au total, près de 120 000 personnes déplacées. La consommation d’eau et d’aliments produits dans la zone est formellement interdite, car l’absorption de denrées contaminées peut représenter jusqu’à 90 % de la dose totale reçue. (NB : les chiffres sont très variables selon les sources car beaucoup de personnes ont choisi spontanément de quitter la région, rendant la comptabilisation des déplacements difficile).

Bien que terribles, les quantités de matières radioactives dispersées ne représentent que 10 % de celles de Tchernobyl. Dans cet autre accident mémorable, c’est bien le cœur du réacteur qui a explosé et le bâtiment combustible a été pulvérisé. Des contaminations très élevées ont ainsi touché une surface de 13 000 km² pour Tchernobyl contre 250 km² autour de la centrale de Fukushima.

De plus, à Tchernobyl, la décision d’évacuation n’a été prise que trois jours après l’explosion, rendant les conséquences sanitaires bien plus délétères.

Le bilan d’irradiation des travailleurs de la centrale

Aucun cas d’irradiation aiguë ne sera relevé du côté japonais parmi les travailleurs de la centrale intervenus pour sécuriser les installations, contre 237 hospitalisations et 134 cas d’irradiation aiguë confirmés en Ukraine. La dose maximale réglementaire de radiation pour les travailleurs du nucléaire est de 20 millisieverts (mSv) par an. Selon les données de la centrale de Fukushima, parmi les premières équipes sur la place lors de la catastrophe, 173 travailleurs ont reçu plus de 100 mSv et 6 plus de 250 mSv (le syndrome d’irradiation aiguë apparaît aux alentours de 1000 mSv).

Sur les 50 000 travailleurs environ ayant exercé leurs fonctions sur le site depuis 2011, 16 ont déposé un dossier de demande de reconnaissance de maladie professionnelle. Cinq demandes ont été rejetées, six acceptées (sans que le lien ne puisse être prouvé scientifiquement) et les autres sont en cours d’étude. Une de ces 6 personnes est décédée d’un cancer du poumon.

Un bilan sanitaire dominé par les conséquences de l’évacuation

Sur les habitants de la zone évacuée au lendemain de la catastrophe, 20% seulement sont retournés chez eux 10 ans plus tard.

L’évacuation en elle-même a laissé de lourdes traces sur cette population, fragilisée par une importante baisse de sa qualité de vie (baisse des revenus, mal-logement, suicides, dépression…). On estime ainsi qu’en 10 ans, entre 1500 à plus de 2000 personnes sont décédées pour ces raisons, particulièrement dans les hôpitaux et les maisons de retraite.

Une surveillance générale des habitants de la région (2 millions de personnes) a été organisée.

10 ans plus tard, les bilans de santé montrent une amélioration physiologique et psychologique, grâce au retour à de meilleures conditions de vie. Concernant la survenue de cancers, rien ne ressort actuellement, mais certains experts notent qu’il faut parfois attendre 20 ou 30 ans pour voir apparaître des indices.

Les autorités japonaises se sont particulièrement attachées à la surveillance des femmes enceintes ou ayant accouché lors de l’accident (16 000). Aucun signe ne vient suggérer un excès de naissances prématurées, de fausses-couches ou de malformations congénitales. Une étude de 2020 note tout de même une augmentation des nouveau-nés de faible poids (< 2,5kg) dans les zones les plus contaminées.

Le cancer de la thyroïde

Compte tenu de l’explosion des cas de cancers de la thyroïde constatée chez les enfants de la région de Tchernobyl en 1986, les 360 000 enfants de la région de Fukushima âgés de moins de 18 ans en 2011 ont fait l’objet d’une surveillance particulière, en 4 campagnes successives.

L’iode 131 est particulièrement à craindre pour les enfants car elle se concentre sur leur glande thyroïde en pleine croissance.

Lors des 4 campagnes de dépistage, 233 cas de cancers ont été détectés, dont 186 ont été opérés, ce qui était supérieur aux taux antérieurement constatés. Néanmoins, des campagnes de dépistage similaires, entreprises simultanément dans 3 autres préfectures japonaises n’ayant pas subi de contamination ont retrouvé des taux de cancers strictement comparables, laissant penser qu’il s’agit en fait d’un biais de dépistage. Très probablement, la plupart de ces cancers supplémentaires n’auraient jamais évolué défavorablement.

En effet, le cancer de la thyroïde progresse lentement, n’est symptomatique qu’à un stade avancé et ne souffre que d’une faible mortalité. Ce dépistage systématique a probablement identifié ce que les spécialistes appellent des cancers indolents ou quiescents, qui n’auraient jamais été détectés dans d’autres circonstances et dont le traitement n’entraîne aucun bénéfice médical pour le patient.

La situation en 2021

Lors des trois dernières années, les habitants de retour dans la province ont été exposés à des doses annuelles évaluées entre 0,08 et 2,6 mSv, soit inférieures à la dose de radioactivité naturelle en France (4,5 mSv).

Pour tenter de rassurer une population terrifiée à l’idée de revenir dans la région contaminée, les autorités japonaises ont décidé de décontaminer la zone, pour ramener l’exposition à à 1 mSv par an, taux habituel au Japon. Les travaux ont duré 6 ans et coûté 24 milliards d’euros : plus de 20 millions de mètres cubes de terrain ont été excavés, et seront stockés pendant des décennies, bouleversant profondément l’environnement.

En ce qui concerne les produits alimentaires, les seuls à dépasser aujourd’hui la limite réglementaire de 100 Bq/kg sont les baies sauvages, les gibiers et les champignons. Il en est de même pour les poissons d’eau douce ou d’eau de mer pêchés dans la préfecture de Fukushima : un seul échantillon a dépassé la limite depuis 2015.

Ainsi, 10 ans après la catastrophe, le bilan est mitigé. La réaction des autorités japonaises a été extrêmement rapide, préservant sa population de la contamination avec succès. En revanche, les conséquences sanitaires du déracinement brutal de toute une population a laissé des traces qui sont encore vives dans les corps, dans les esprits et sur la terre en elle-même. Et 2000 morts sont tout de même à déplorer, même s’il ne s’agit pas de contaminations.

Sources