1,2, 3 Questions – Isabelle ZABLIT-SCHMITZ

Isabelle ZABLIT-SCHMITZ, Directrice de projets Europe et international à la délégation ministérielle au Numérique en Santé, ministère de la Santé et de la Prévention, France.

Que s’est-il passé durant la présidence française en ce qui concerne l’Espace européen des données de santé ?

Je citerais deux grandes dates, qui représentent des jalons majeurs vers l’Espace européen de données de santé :

  • D’abord, la date du 2 février 2022, celle de la conférence ministérielle «Citoyenneté, éthique et données de santé » organisée dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. En effet, les principes européens pour l’éthique du numérique en santé adoptés à l’initiative de la France y ont été présentés et les ministres des États membres s’y sont engagés sur leur mise en œuvre.
  • Ensuite, la date du 3 mai, quand la Commission européenne a présenté son projet de règlement sur le futur Espace européen des données de santé comprenant les grands principes directeurs de l’Union européenne pour le partage des données de santé en Europe.

À partir du 20 mai, l’instruction de ce texte a démarré, et elle a lieu lors de réunions entre les représentants permanents des États membres à Bruxelles. La France, comme de nombreux États membres, souhaite que cette instruction soit efficace et efficiente. L’objectif est qu’il ne perde pas sa substance en cours de route et puisse entrer en vigueur dans les États membres le plus rapidement possible ; il est actuellement prévu un délai d’instruction pour préparer son entrée en vigueur.

Pourquoi est-ce qu’un travail sur l’éthique dans ce cadre était essentiel ?

L’objectif de la Présidence française de l’Union européenne (PFUE) était de mettre les travaux de l’Espace européen des données de santé sur les bons rails. Aussi nous avons décidé de travailler en amont sur le cadre éthique avant la communication de la proposition de texte par la Commission européenne, comme fondement et prérequis. Avec l’interopérabilité et la sécurité, l’éthique est le 3e pilier essentiel pour développer les usages du numérique en santé. Il était indispensable en amont de comprendre quel était le niveau de prise en compte dans les feuilles de route nationales des États membres pour préparer ce texte européen. Nous avons ainsi effectué un travail de recherche et d’enquête, épaulés par un cabinet d’audit international et en coopération avec les ministères de la Santé des 29[1] et de la Commission européenne. Chaque pays européen n’entend pas forcément la même chose dans le mot éthique et ne l’intègre pas de la même manière dans sa feuille de route nationale. Il était donc indispensable d’avoir cette connaissance transversale. Cette étude nous a apporté des réponses, ce qui a été salué par l’ensemble de nos collègues qui ont participé aux échanges. Asseoir une base éthique forte pour le numérique en santé en Europe est un engagement envers les citoyens, il donne un cadre de valeurs partagées indispensable pour permettre l’adoption du texte sur l’Espace européen de données de santé.

Déjà, la crise Covid avait enclenché la réflexion sur l’éthique du numérique en santé. Le pass sanitaire a aidé à la prise de conscience de l’importance de ce sujet. Au final, l’enjeu est de permettre aux citoyens européens de contrôler leurs propres données de santé, de donner les conditions de l’utilisation du numérique en santé et de donner les limites de l’utilisation des données de santé.

Il faut souligner le fait que la proposition de règlement européen intègre désormais, comme évoqué, les principes européens pour l’éthique du numérique en santé qui ont été adoptés. L’Espace européen des données de santé doit reposer sur un cadre vertueux, adopté par tous les pays membres, afin de remporter l’adhésion des citoyens. Ce cadre est amené à évoluer.

Quels sont les principes européens pour l’éthique du numérique en santé ?

C’est une réflexion qui a été passionnante !

Ces principes sont regroupés selon quatre dimensions. Chaque dimension compte 4 principes, et il y a donc 16 principes au total. Les quatre dimensions sont : inscrire le numérique en santé dans un cadre de valeurs humanistes ; donner la main aux personnes sur le numérique et leurs données de santé ; développer un numérique en santé inclusif ; mettre en œuvre un numérique en santé écoresponsable.

Nous avons souhaité que ces principes éthiques soient un texte concis écrit dans un style simple et direct : ils tiennent sur une page A4 (une version longue est en cours d’écriture) et l’objectif de les rendre accessibles au citoyen.

La quatrième dimension est particulièrement innovante ; elle porte sur l’éco-responsabilité. Il s’agit de limiter l’impact environnemental du numérique en santé, afin de ne pas nuire à la santé. Ce serait évidemment paradoxal.

[1] 27 pays de l’Union européenne, plus l’Islande et la Norvège qui participent de manière volontariste aux travaux du réseau « eHealth Network » qui rassemblent les représentants des directions du numérique en santé des ministères de la santé européens.

Interview réalisée en coopération avec l’Union européenne de l’hospitalisation privée (UEHP)

 

ANNEXE : Les 16 principes européens pour l’éthique du numérique en santé

Inscrire le numérique en santé dans un cadre de valeurs humanistes

  • 1. Le numérique en santé complète et optimise les pratiques de santé effectuées en présentiel.
  • 2. Les personnes sont informées des bénéfices et des limites du numérique en santé
  • 3. Les personnes sont informées des modalités de fonctionnement des services numériques en santé et peuvent facilement paramétrer leurs interactions avec ces outils.
  • 4. Lorsqu’une intelligence artificielle est mise en œuvre, le maximum a été fait pour qu’elle soit explicable et sans biais discriminatoire.

Donner la main aux personnes sur le numérique et sur leurs données de santé

  • 5. Les personnes ont un rôle actif dans l’élaboration des cadres européens et nationaux du numérique et des données de santé.
  • 6. Les personnes peuvent récupérer facilement et de manière fiable leurs données de santé dans un format couramment utilisé.
  • 7. Les personnes peuvent facilement obtenir des informations sur la manière dont leurs données de santé ont été ou peuvent être consultées et dans quel but.
  • 8. Les personnes peuvent facilement et de manière fiable donner l’accès à leurs données de santé et exercer leurs droits, y compris leur droit d’opposition quand il est applicable.

Développer un numérique en santé inclusif

  • 9. Les services numériques en santé sont accessibles à tous, y compris aux personnes en situation de handicap ou avec un faible niveau de littératie.
  • 10. Les services du numérique en santé sont intuitifs et faciles à utiliser.
  • 11. Les personnes ont accès à des formations sur le numérique en santé.
  • 12. Les services numériques en santé proposent une assistance humaine lorsqu’elle est nécessaire.

Mettre en œuvre un numérique en santé écoresponsable

  • 13. Les impacts environnementaux du numérique en santé sont identifiés et mesurés.
  • 14. Les services numériques en santé sont développés dans le respect des bonnes pratiques d’écoconception
  • 15. La réutilisation et le recyclage des équipements informatiques en santé sont prévus.
  • 16. Les acteurs du numérique en santé s’engagent à réduire leur empreinte écologique.