1,2, 3 Questions – Dr Guillaume RICHALET

Dr Guillaume RICHALET, PDG de la Clinique des Cèdres, Échirolles (38)

Votre établissement gère le dernier service d’urgences ouvert la nuit de l’agglomération grenobloise, comment expliquer cette situation ?

La Clinique des Cèdres est actuellement le dernier établissement de notre secteur à assurer l’accueil des urgences 24/24 7/7 (23 000 passages). Cette situation surréaliste au regard de l’infrastructure hospitalière en présence, s’explique par les arrêts d’activité successifs la nuit des trois autres services d’urgences de l’agglomération grenobloise. En novembre 2021, le groupe AVEC, établissement Espic, (26 000 passages en 2021) a annoncé la fermeture de ses urgences après 18h par manque de personnels. Le CH de Voiron (30 000 passages) lui a emboîté le pas les week-ends, puis le 26 juin 2022, la démission de 15 urgentistes du CHU de Grenoble (70 000 passages) a entraîné l’arrêt complet des urgences la nuit du CH de Voiron puis en partie de celles du CHU, qui est passé en mode régulé, c’est-à-dire fermeture des urgences la nuit, sauf appels téléphoniques et urgences vitales.

Les passages dans nos urgences privées ont mécaniquement explosé mais ce qui inquiète le plus nos équipes ce sont les niveaux de sévérité qui ont triplé en un an, ce qui renvoie aux difficultés d’accès de la population à une médecine primaire et préventive. Nous refusons les régulations sauvages du centre 15 au-delà de 20h, sauf si un patient nous est envoyé par un médecin sur appel téléphonique. Depuis début septembre, le CHU nous a annoncé qu’il ne tiendrait pas les plannings la nuit jusqu’à la fin de l’année et que nous serions sollicités certains soirs pour prendre en charge les régulations.

La régulation des urgences comme proposée par notre ministre François Braun ne peut être qu’une mesure palliative.

Quels écoute et soutien recevez-vous de la part de votre ARS ?

L’ARS a fait le tour des services d’urgences de la région avant juin, averti par les difficultés du CHU de Grenoble. J’ai reçu le soutien du Dr Grall, notre DG ARS, qui a valorisé notre efficience, c’est important. J’ai fait une demande financière, octroyée en décembre, en mars et récemment en juillet, et qui m’a permis de revaloriser et renforcer le personnel présent.

J’ai soulevé la question de la dotation populationnelle parce que la Clinique des Cèdres qui est le dernier bastion debout reçoit la plus petite dotation. Elle est plus élevée pour les hôpitaux publics qui sont à moitié fermés et l’établissement Espic qui a fermé ses urgences la nuit depuis novembre 2021 reçoit le double de notre dotation pour un nombre de passages assez similaire en 2021, ce qui est assez choquant ! Son montant devrait être indexé au taux d’ouverture du service. J’attends beaucoup de la révision de la dotation populationnelle en 2023 pour nous aider à tenir et surtout maintenir ce service de santé publique essentiel.

Comment faites-vous avec vos équipes pour tenir le cap ?

Avec la crise Covid nous avons mis en place des cellules territoriales avec l’ensemble des établissements publics et privés tous les mercredis matin, donc l’échange se fait. La Clinique des Cèdres a joué le jeu sur tous les tableaux pendant la crise sanitaire et maintenant celle des urgences, avec l’accueil de patients Covid, puis avec la gestion intelligente des injonctions de déprogrammation de nos plateaux techniques qui se sont adaptés pour maintenir une activité programmée minimum à toutes les spécialités, et aujourd’hui avec le maintien de nos urgences 24/24, 7/7, qui sont actuellement le dernier recours pour bien des patients.

Mes conditions pour ce maintien 24/24 ont peu été respectées et je le regrette : être soutenu par des médecins d’autres hôpitaux et cliniques (1 nuit de soutien obtenue), obtenir des lits d’aval dans les établissements avoisinants afin de ne pas emboliser notre propre organisation (0 lit proposé), prêt de personnel infirmier et IAO (est arrivé 2 fois)… Le CHU avec l’aide de l’ARS nous ont épaulés à quelques occasions, nous les avons remerciés.

Clairement dans notre cas, l’engagement et l’efficience des équipes et médecins libéraux font que nous tenons encore le coup. Ils mettent les bouchées doubles chaque jour depuis des mois, mais me disent parfois : « Pourquoi devons-nous continuer à travailler la nuit alors que tous les autres s’arrêtent ? » Le management d’équipe joue un très grand rôle aussi. Je suis moi-même médecin et manager et je soutiens mes équipes le soir jusqu’à minuit quand je suis d’astreinte. Mes collègues font de même. Nous sommes fiers que le dernier service d’urgences ouvert sur Grenoble soit un établissement privé.

Comment envisagez-vous 2023 ?

Notre marche en avant commence dès aujourd’hui. 100 % de nos lits sont ouverts depuis le 1er septembre et 100 % des plages opératoires le seront au 1er octobre. Notre politique de recrutement a bien fonctionné ce qui représente une note d’espoir dans un contexte difficile. Nous sommes entrés dans une spirale positive d’attractivité du personnel soignant.

Nous allons ouvrir une maison médicale de garde (12h-24h) type PASI (Point d’accueil pour soins immédiats) adossée à la clinique et au service d’urgences qui sera inaugurée le 15 décembre 2022. Elle absorbera entre 10 000 et 15 000 passages par an en plus, en collaboration avec SOS médecins, et permettra un accès direct prioritaire au plateau technique de biologie, radiologie et de lits d’hospitalisation courte. Nous espérons ainsi proposer des solutions pour notre bassin de population et désengorger les urgences, mais aussi créer un canal pour l’activité médicale programmée des médecins de la Clinique des Cèdres.