1,2, 3 Questions – Pr Jean-François DELFRAISSY

Pr Jean-François DELFRAISSY, président du Comité consultatif national d’éthique – président du Conseil scientifique Covid-19

Quel regard portez-vous sur la démocratie sanitaire et sur son fonctionnement ces deux dernières années ?

Les bases de cette démocratie, soit la place du citoyen dans les décisions des grands enjeux de santé, ont été posées pour moi dès 1985 au moment de l’arrivée du sida. La médecine était alors impuissante et le milieu associatif très présent. Pour un médecin comme moi issu d’une médecine triomphante et dans une impasse thérapeutique majeure, j’ai beaucoup appris en me heurtant aux associations de patients, Act up, AIDES. Ils m’ont fait comprendre que le système de santé n’est pas conçu comme un Etat en soi pour les soignants mais il doit être au service des patients. Sa maladie lui appartient.

Durant la crise sanitaire majeure du Covid, la démocratie sanitaire n’était pas au rendez-vous. Il y a eu deux visions. La première est celle de la santé publique qui mêle d’une part le respect individuel d’autonomie et de liberté et d’autre part, une approche collective de protection de la société. Les libertés individuelles ont été limitées pour avoir une meilleure protection du collectif. La deuxième vision est celle de l’innovation. En mars 2020, on était dans un climat d’incertitude, puis le vaccin et des traitements efficaces sont arrivés, et c’est miraculeux dans des délais aussi courts. Mais l’innovation ne résout pas tout ! L’année 2021 a vu l’arrivée des vaccins et celle des variants. En 2022, nous vivons avec le virus et ses variants, et nous attendons une 8e vague avec des outils complètement différents de 2020 pour la gérer.

Lors du premier confinement, il y a eu un effet de sidération. Un comité citoyen a bien été créé mais il n’a pas été audible. Je regrette qu’on n’ait pas davantage sollicité la participation des citoyens dans la gestion de cette pandémie, cela nous aurait probablement poussé à faire passer plus d’humanité dans les Ehpad. Les grandes associations ont ensuite repris progressivement leur fonction, ont nuancé, expliqué, et ont dialogué avec les citoyens et les médecins pour moduler les grandes décisions dans les métropoles. Un bilan est en cours : ce qui a été fait était en termes de mobilisation citoyenne était insuffisant mais des initiatives ont néanmoins été prises dans quelques métropoles.

Comment analysez-vous la crise RH actuelle ?

Nous assistons à une désaffection des carrières dans la santé, une fuite des infirmières, des sages-femmes, des jeunes médecins. Cette situation était inimaginable pour les soignants de ma génération. Elle est comparable dans les grandes démocraties européennes, en Angleterre, en Suisse… Établissements publics, privés, structures prestigieuses, tous rencontrent les mêmes difficultés de recrutement. Le phénomène est systémique. Il y a des réponses organisationnelles et salariales mais aussi des questionnements de valeurs et d’éthique. Quelles valeurs voulons-nous voir porter par notre système de soins à la française ? Celui qui garantit un accès aux soins et une égalité des citoyens devant le soin ? Les jeunes générations veulent construire et partager les grandes valeurs qui nous ont portés depuis la seconde guerre mondiale. Dans ces moments complexes, l’ouverture sur les citoyens est fondamentale.

Comment le débat sur la fin de la vie va-t-il se dérouler ?

En tant que président de la CCNE, j’avais souhaité mettre en place en juin 2021 un groupe de travail pour réaborder la loi Claeys-Leonetti de 2016. Est-elle suffisamment connue ? Est-elle appliquée ? Y a-t-il des situations auxquelles la loi Claeys-Leonetti ne répondrait pas complètement ? Est-ce que notre mort nous appartient ou appartient-elle à la société, aux médecins puisque 80 % des décès ont lieu à l’hôpital ? Devons-nous privilégier l’autonomie ou la solidarité ? Ces questions touchent à l’intimité profonde et ce vaste débat ne peut donc pas se tenir uniquement entre les politiques. Il est prévu une grande mobilisation des espaces régionaux de réflexion éthique, pilotée par le CCNE avec comme mission d’informer et de débattre avec les citoyens. Ceci aura lieu avec le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie et les professionnels de santé qui doivent également être écoutés. Ce sujet remet l’urgence de construire pleinement la démocratie en santé.