Patrick CHAMBOREDON, président de l’Ordre national des infirmiers (ONI)
Le 22 mai 2023 lors d’un colloque organisé au sein du Conseil économique, social et environnemental, l’ONI a posé les conditions de la revalorisation de la profession. Pourriez-vous revenir sur ces conditions ?
Les attentes des infirmiers en matière de revalorisation de la profession doivent rapidement être satisfaites. L’Ordre national des infirmiers est convaincu que la réponse nécessite un cadre législatif et réglementaire renouvelé, mais de nombreuses questions subsistent pour réussir à passer de concepts intellectuels à une pratique professionnelle concrète.
L’objectif final étant l’amélioration de l’offre de soins sur tout le territoire, quels acteurs sont légitimes pour participer à l’élaboration de textes ? Ceux-ci ne doivent-ils pas faire l’objet d’un débat national ? L’ONI aspire à ce que toutes les personnes de bonne volonté et disposant de la légitimité réglementaire ou intellectuelle se mobilisent pour faire aboutir la réflexion, rédiger les textes et les faire accepter.
Les phénomènes démographiques liés au baby-boom, au vieillissement de la population, à l’évolution des modes de vie n’ayant pas été anticipés, nous devons trouver les moyens de réagir vite et ensemble afin de proposer une offre de soins cohérente. Ce discours heurte mais actuellement personne ne répond à la demande exprimée sur certains territoires. Toutes les compétences existantes doivent donc être mobilisées, parce qu’elles sont toutes nécessaires pour faire en sorte que chaque patient soit pris en charge. À cet égard, les perspectives relatives à l’accroissement de la demande de prises en charge indiquent qu’il faudra en 2040, 1 million d’infirmiers*.
Quelles approches préconisez-vous ?
Les réflexions doivent partir du patient. La situation est extrêmement tendue et il faut adapter les missions et compétences des infirmiers aux besoins actuels et les anticiper. D’après les chiffres issus de rapports produits par l’IGAS, au moins une décennie sera nécessaire avant l’arrivée de médecins supplémentaires.
Tests, vaccinations, certificats de décès… plutôt que de décider par petites touches, l’ONI attend un texte définitif, global et débattu publiquement. Les questions de l’organisation et de la confiance dans la formation, la pratique et la profession doivent évoluer.
Depuis octobre 2022, les accords du Comité de liaison des institutions ordinales (CLIO) autorisent des professionnels de santé à prendre en charge les patients pour certains actes. Cette décision, qui affecte la pratique, doit être accompagnée dans sa mise en œuvre. Les soignants ont donc d’ores et déjà une responsabilité de prise en charge sur les territoires mais une réponse pertinente sur le long terme aux besoins exprimés doit être trouvée.
Cela est d’autant plus impératif qu’il n’y a pas de déserts infirmiers. Les infirmiers sont présents sur l’ensemble du territoire. Nous disposons de la capacité de prendre en charge et de faire entrer le patient dans une prise en charge coordonnée des soins. Les infirmiers proposent, au législateur et à ceux qui travaillent sur les besoins de santé, une véritable solution. Cependant une offre de soins renforcée sur le territoire passe par la formation et implique nécessairement un renforcement et plus d’autonomie dans la pratique. La montée de la responsabilité dans la prise en charge doit s’organiser dans le respect des protocoles, des compétences acquises et de la capacité de chacun.
Ce n’est pas une médecine à deux vitesses que nous proposons aux patients. La pratique avancée, décidée en 2018, existe et fonctionne depuis longtemps dans d’autres pays. Et puis, le protocole de coopération a fait ses preuves ; sa mise en œuvre doit être simplifiée pour entrer dans le droit commun des infirmiers.
Les besoins des patients étant exprimés, nous aspirons à y répondre.
Quelle réponse apporter à la violence faite aux soignants ?
Tous les évènements, en ville ou en établissement, doivent être déclarés et induire une réponse dissuasive envers tous ceux qui auraient dans l’idée de faire du mal aux soignants. Le signal que doit donner le Gouvernement aux professionnels doit être que nous prenons soin de vous et qu’on « ne touche pas aux soignants ». Les infirmiers participent 24 heures sur 24 au ciment de la société. Comme tous ceux qui s’engagent auprès des autres, dans des missions de service public, ils doivent être protégés dans leur activité. Cette violence affecte quotidiennement les conditions de vie au travail et la qualité des soins.
Ces éléments ont une incidence sur l’attractivité du métier et le maintien dans l’emploi. Notre lutte contre la violence s’accorde donc parfaitement avec notre combat pour la revalorisation de la profession infirmière : l’ONI prône une montée en compétences des infirmiers, une évolution de la formation pour que les infirmiers soient sereins, à leur juste place, à leur juste niveau de responsabilité au sein du système de santé.
* Chiffre indiqué par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) en 2018 et le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2021.