Philippe BURNEL, ancien haut fonctionnaire et enseignant à l’université de Montpellier
Vous êtes l’auteur du livre « Les cliniques privées. Organisation, fonctionnement et place dans l’offre de soins ». Pourquoi cet ouvrage sur les établissements de santé privés ?
Même si de nombreux Français ont une expérience concrète d’une hospitalisation en clinique privée, la place réelle de ces établissements dans l’offre de soins est mal connue. Il en va de même de leur mode de fonctionnement ou de leur organisation. Il s’ensuit souvent, de la part des journalistes, des responsables administratifs de la santé ou des hommes politiques, des propos approximatifs souvent teintés d’une vision idéologiquement plutôt défavorable. J’ai voulu avec ce livre, expliquer le plus factuellement possible ce que sont les cliniques, ce qu’elles font et comment elles fonctionnent, sans masquer ni les points forts, ni leurs faiblesses.
Comment caractérisez-vous les cliniques privées et leur activité par comparaison avec le secteur public ?
J’ai retenu trois thèmes : le fonctionnement, la place de l’offre de soins privée, et le rôle de l’État régulateur.
Premièrement, à la différence des établissements publics ou ESPIC, les cliniques privées ne constituent pas une entité juridique unique, mais un ensemble d’entreprises en interrelation, agrégeant notamment plusieurs sociétés ou entreprises libérales. Autre particularité, la séparation entre la société d’exploitation et le bailleur propriétaire de l’immobilier. Cette distinction ancienne est devenue plus aiguë par le fait qu’aujourd’hui, dans un grand nombre d’établissements, les deux entreprises n’ont plus les mêmes actionnaires, laissant du reste la place à de grandes entreprises spécialistes de l’investissement et de la gestion immobilière. L’absence de découpage en services et donc de responsabilité managériale des médecins constituent également des caractéristiques qui les distinguent des établissements publics, posant indirectement la question des modalités d’association du collectif médical à la gestion de l’établissement, le rôle des CME étant parfois plus formel que réel. On pourrait enfin les caractériser par des exigences de gestion reposant sur des outils souvent plus simples (faible usage de la comptabilité analytique, par exemple) mais utilisés de façon plus systématique et exigeante.
Deuxièmement, les particularités de l’offre de soins sont en partie héritées de l’histoire. D’une part, l’évolution du besoin des médecins libéraux de disposer d’un plateau technique pour exercer leur art, conduisant à une extension progressive du champ d’intervention des cliniques. D’autre part, l’incapacité des hôpitaux publics jusqu’au début des années 70 à offrir aux patients des conditions de confort et de personnalisation satisfaisantes. Aujourd’hui, l’activité du secteur privé est comparable en volume et en nature à celle du secteur public en SMR, mais sensiblement différente en psychiatrie, et, dans une moindre mesure en MCO avec des patients moins lourds et socialement plus favorisés. Cependant, les constats fondés sur des moyennes ne sont pas les plus pertinents si on veut analyser les performances comparées des modèles privé et public. Certaines cliniques peuvent en effet présenter des profils de pathologies prises en charge plus lourds que ceux d’autres établissements publics. Il en va aussi de même s’agissant de la proportion de patients précaires ou socialement défavorisés. Une approche d’appariement et de parangonnage serait ainsi très intéressante tant pour les gestionnaires publics et privés que pour les pouvoirs publics.
Enfin, je traite du rôle régulateur de l’État et de l’ambiguïté de ses interventions dans un contexte où il est en même temps « l’actionnaire » des hôpitaux publics. Jusqu’aux années soixante, les cliniques privées ont bénéficié d’un mode de régulation autonome et d’une grande liberté sous l’égide de l’Assurance maladie. Elles ont ensuite progressivement intégré un cadre de régulation conçu pour l’hôpital public, en commençant par la planification, puis l’harmonisation des exigences de sécurité et de qualité pour finir par la tarification et le financement. Pour autant, dans ce contexte, les différences induites par la notion d’appartenance ou pas au service public continue à inspirer des comportements régulateurs de l’État souvent inéquitables ou partiaux. J’illustre ce point notamment par les débats sur la convergence tarifaire ou la prise en compte des différences de statut fiscal.
Quels sont les enjeux de l’hospitalisation privée ?
Il y a un enjeu économique. Dans un contexte qui risque d’être durablement contraint s’agissant des dépenses de l’Assurance maladie. Je m’interroge sur la pérennité d’un modèle reposant d’un côté sur la recherche permanente de gains de productivité (une limite a-t-elle été atteinte ?) et de l’autre côté sur la recherche de recettes annexes, en premier lieu les chambres particulières dont les tarifs sont sans commune mesure avec leurs prix de revient. En d’autres termes, le modèle actuel qui sous-finance les soins payés par l’Assurance maladie et surpaye les prestations annexes financées par les complémentaires ne me paraît pas durablement soutenable.
Par ailleurs, l’activité du secteur privé, essentiellement en MCO, s’est organisée autour de la prise en charge de pathologies aiguës, souvent chirurgicales, alors que les enjeux actuels de la santé concernent principalement la prise en charge des maladies chroniques. Cette évolution impose un redéploiement vers des activités médicales et une inscription dans une logique de parcours. À ce premier enjeu stratégique s’ajoute un deuxième encore plus exigeant, qui est celui du virage ambulatoire ou du « downsizing des modes de prise en charge », en d’autres termes réduire la part de l’hôpital au sens générique du terme dans les prises en charge, au profit de modes de prise en charge plus « légers et agiles », principalement en ville. La stratégie de certains groupes me semble du reste clairement d’anticiper cette évolution en s’intéressant à des acteurs extrahospitaliers. La transformation numérique constitue enfin à la fois un enjeu et un moyen de réussir la transformation organisationnelle que suppose le virage ambulatoire.
Le dernier enjeu que je développe est celui de la place de l’hospitalisation privée à côté d’un hôpital public en crise. Dans ce contexte, l’hospitalisation privée peut offrir une véritable alternative, à condition qu’elle sache offrir les mêmes garanties de pérennité de l’offre de soins, d’accessibilité pour tous en termes de permanence, de tarification et d’urgence, ainsi que de transparence économique. Je plaide pour une véritable intégration dans un service public rénové dont les exigences seraient fondées sur des obligations et non sur le statut. Pour les cliniques, il est possible d’attendre (en la suscitant, éventuellement) une évolution législative et réglementaire. Mais elles pourraient aussi, avec leurs partenaires libéraux et les assurances complémentaires, prendre les devants, en s’appuyant sur le statut d’entreprises à mission. Pourquoi la profession ne se doterait-elle pas d’un référentiel servant de base commune à un label ou à la définition des entreprises à mission du secteur ?
Les cliniques privées. Organisation, fonctionnement et place dans l’offre de soins
Auteur : Philippe BURNEL
Éditions Presses de l’EHESP
ISBN : 978-2-8109-1194-3