3 questions à Jean de Kervasdoué, économiste de la santé

Jean de Kervasdoué, économiste de la santé, auteur de Ils ont perdu la raison (Robert Laffont), paru en janvier 2014.

Il y a pléthore de problèmes en France en matière de santé. Par où commencer ? Quelle est, selon vous, l’urgence absolue pour les établissements de santé ?
Tout d’abord les sept milliards de déficit qui perdure malgré les très fortes augmentations de cotisations et de taxes diverses, est à mon sens le problème le plus préoccupant. Il est impossible de continuer ainsi. Le second problème est l’inégalité des prises en charge selon l’endroit où l’on entre dans le système de santé. Par exemple, pour une personne atteinte d’un infarctus du myocarde admise aux services d’urgence, nous observons qu’il y a des variations considérables selon le lieu. Il s’agit donc là de qualité des soins. Quant au système dans son ensemble, il est globalement onéreux parce qu’en France on hospitalise 70 % de plus que dans la moyenne des pays occidentaux. Nous disposons de plus de 3000 structures hospitalières, l’Allemagne n’en a que 2000 et le Royaume-Uni 640. Ainsi, il y a autant de gens qui travaillent dans les hôpitaux français qu’allemands, or la population est 25 % supérieure à la nôtre. Qui plus est, les Français choisissent toujours le plus cher : l’hôpital plus que la ville, les spécialistes plus que les généralistes, les médecins plus que les infirmières (2,5 infirmières en France pour 5 par médecin dans les pays anglo-saxons). Enfin, si nous prescrivions autant de médicaments que dans les Pays nordiques, nous ferions 300 euros d’économies par patient et par an, soit plus de 18 milliards d’euros ! Quant aux solutions, distinguons entre les mesures à court terme et les mesures à long terme. A long terme, si l’on veut permettre une restructuration de l’offre hospitalière, notamment celle du secteur public, il faudra donner à ces établissements plus d’autonomie qu’ils n’en ont. Cela peut paraître paradoxal, mais comme l’État contrôle tout, il se paralyse et la fermeture de chaque établissement devient un problème politique qui « remonte » à l’échelon national. Par ailleurs, restructurer prend du temps et même si l’on avait la volonté et les moyens, il faudrait une dizaine d’années pour que les effets économiques se fassent sentir. À une échéance plus brève, il faudrait au moins trois ans pour favoriser un développement significatif de la chirurgie ambulatoire, mais à condition que les tarifs soient adaptés, autrement dit : plus rentables que ceux de l’hospitalisation classique. A court terme, on ne peut jouer que sur les prescriptions de médicaments et d’actes et que sur les tarifs en biologie et en imagerie notamment. Pour ce qui est de la prévention, il ne faut pas tomber dans le raisonnement aussi répandu que globalement faux : à savoir qu’elle permettrait de faire des économies. Bien entendu, il y a des cas où cela se produit : obésité, alcoolisme, diabète… mais, le plus souvent, si la prévention réussit, les gens vivent plus vieux, consomment plus longtemps et finissent par mourir d’autres maladies, pas nécessairement moins coûteuses. Par ailleurs, soulignons que la prévention, par essence, limite, interdit, contraint, elle est donc liberticide. Il faut avoir de bonnes raisons sanitaires, politiques et sociales – il y en a – pour contraindre le comportement des gens.

Le dénominateur commun des revendications des professionnels de santé est de retrouver la reconnaissance de leur métier. En est-il vraiment ainsi ?
Il est vrai que de la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’aux années 70, les médecins ont joui d’une notoriété qui s’est considérablement étiolée ces dernières années. La rémunération de l’acte à 23 euros est indigne. Le système de paiement à l’acte des généralistes, d’ailleurs défendu bec et ongle  par les syndicats médicaux, est pour les médecins de première intention (généralistes, pédiatres …) un mode de paiement archaïque. Le système de salariat ou de capitation adopté en Europe du Nord ou en Amérique du Nord et qui représente environ deux tiers des revenus (auxquels s’ajoute un tiers d’actes) est beaucoup plus adapté. Les médecins font un travail formidable et ne veulent plus s’entendre reprocher leurs honoraires trop élevés. Un généraliste français gagne actuellement 50 % de moins que son confrère britannique ou néerlandais !

Dans votre dernier ouvragevous dénoncez notamment l’immixtion du politique dans le médical. Dites-nous en plus.
Je rappelle dans mon livre que si nous sommes, nous occidentaux, riches, bien portants et vivant à des âges avancés, c’est grâce à quelques hommes tels que Copernic qui, il y a cinq ou six siècles, ont cru dans leurs observations. En outre, ils ont affirmé que tout n’était pas religieux, même si la religion avait son domaine. Grâce à eux les hommes ont trouvé une nouvelle méthode pacifique de trancher leurs conflits. Il y avait déjà les tribunaux, puis est apparue la méthode expérimentale grâce à laquelle la médecine, tout comme l’agriculture, l’énergie, les transports etc. ont pu faire des progrès colossaux. Or nous revenons aujourd’hui à une confusion des ordres : le politique s’immisce dans la science. Dernièrement, la loi d’interdiction de vente du bisphénol À me semble aussi illégitime qu’inappropriée. L’Académie de médecine avait rédigé un excellent rapport sur ce sujet, expliqué comment on pouvait limiter l’usage de ce produit, mais avait aussi fait remarquer qu’il n’y avait pas de produits qui pouvaient le remplacer. L’Académie faisait un raisonnement scientifique en étudiant le rapport coût/bénéfice, l’Assemblée nationale se base sur des croyances infondées : il y a plus de 5000 articles publiés sur ce sujet. Aucun ne démontre qu’il n’y a un effet chez les humains. Certaines études peu nombreuses, montrent qu’il y en aurait chez le rat, mais c’est aussi le cas… du café, où là il y en a vraiment ! L’interdiction de prescrire Diane 35 contre l’acné était aussi une décision… hâtive ! Nous en sommes donc arrivés à une politique de l’émotion, à des décisions prises par des sophistes et non par des scientifiques. Les politiques ne se soucient pas de la vérité, ils veulent seulement nous convaincre avec force sondages d’opinion, marketing politique, éléments de langage… Ainsi, les membres du Gouvernement ont des formations littéraires ou juridiques, mais il n’y a aucun médecin, aucun militaire, aucun chercheur, aucun chef d’entreprise, aucun ingénieur… Si bien que l’on peut leur faire croire que les OGM sont notre pire ennemi, que les pesticides nuisent à notre santé ou bien que le problème du déficit de l’assurance maladie serait dû aux dépassements d’honoraires. En revanche, ils donnent du poids à des organisations aussi, non gouvernementales ainsi que non représentatives et non scientifiques, mais ceci est une autre histoire.