La télémédecine, bientôt accessible à tous ?

« Il ne faut pas voir la télémédecine comme une « ubérisation » de la santé, mais plutôt comme le moyen de bénéficier des mêmes avis, des mêmes suivis, où que l’on soit en France et ailleurs. » Thierry Moulin, président de la Société Française de Télémédecine a tenu à insister sur le caractère essentiel de ces pratiques notamment pour les milieux ruraux, les EHPAD et autres milieux à risque. 10 millions de personnes atteintes de maladies chroniques devrait notamment bénéficier de ces modes de suivi.

Mais dans les faits, beaucoup pensent que la vision de la télémédecine est utopique et que trop de doutes et d’obstacles subsistent. La télémédecine est-elle alors vraiment proche d’une démocratisation totale ?

Télémédecine : ce n’est pas que de la téléconsultation

La télémédecine n’est pas pensée pour avoir la possibilité d’effectuer une simple consultation par écran interposé.

La télémédecine est davantage une solution pour rapprocher la ville de l’hôpital dans un cadre traçable et structuré par l’expertise humaine. Depuis un décret d’octobre 2010, le concept de télémédecine est devenu beaucoup plus développé. Elle se décline en 4 principaux types d’actes :

  • Téléconsultation : consultation à distance entre un patient et un médecin
  • Téléexpertise : collaboration de plusieurs professionnels de santé autour d’un cas patient ou d’une autre problématique médicale. Cela revient à parler de groupe de travail, comme on en trouve dans de nombreux autres secteurs
  • Télésurveillance : analyse et interprétation des données médicales collectées par des caméras et capteurs dans le domicile du patient
  • Téléassistance : un médecin assiste un de ses confrères par écran interposé lors d’un acte médical.

La loi vient enfin apporter éclairage et soutien sur ce dispositif. En effet, le PLFSS 2018 propose en son article 36 (Prise en charge de la télémédecine) une mesure qui vise à organiser la prise en charge de la téléconsultation par l’assurance maladie selon des modalités proches de celles de l’activité médicale réalisée en présence du patient, tout en accompagnant l’organisation de l’offre de soins ainsi encouragée.

Elle prévoit également que la téléexpertise puisse intégrer le droit commun de la prise en charge par l’assurance maladie selon des modalités fixées par voie conventionnelle.

Cette mesure a un impact sur les dépenses de santé prises en charge par l’assurance maladie obligatoire, compte tenu de l’amélioration de l’offre de soins qu’elle met en oeuvre mais revêt également une dimension substitutive et génère des économies de transport. Elle a également un impact sur le fonctionnement des caisses d’assurance maladie, en prévoyant les conditions de prise en charge d’actes médicaux réalisés sans la présence du patient auprès du professionnel de santé.

Elle prévoit une abrogation du cadre expérimental en vigueur.

Un nouveau dispositif expérimental est toutefois prévu à l’identique pour la télésurveillance, qui n’a pas encore connu de déploiement effectif à ce jour.

Les initiatives de télémédecine : trop de logiciels pour rien

En France, les projets de télémédecine se multiplient un peu partout. Depuis septembre 2017, une maison de retraite médicalisée à Chartres a annoncé qu’elle utilisait la télémédecine par le biais de caméras et d’objets de santé connectée. La direction de l’établissement a loué les bienfaits de ce genre de pratique permettant de lutter contre les déserts médicaux et de contacter pour l’heure dermatologues et cardiologues.

L’accident vasculaire cérébral est un exemple parlant de ce que peut effectuer la télémédecine. Le problème est qu’il existe au moins 12 logiciels différents pour la prise en charge de ce phénomène. Le constat se vérifie sur à peu près toutes les spécialités. En France, sont référencés 301 éditeurs de logiciels, développant pas moins de 840 programmes de santé connectée. Une multiplicité qui peut poser problème pour un établissement souhaitant investir dans la télémédecine et qui peut se poser diverses questions : est-ce le bon logiciel répondant à mes besoins, est-il certifié, quelle responsabilité j’encours si le programme met en danger mes patients … Telles sont les questions qui ne sont, pour l’heure, pas résolues.

Des blocages demeurent encore bien présents

Il existe deux types d’obstacles majeurs pour que la télémédecine soit adoubée par les différents organismes médicaux : les limites techniques (bureautique, compatibilité) et humaines.

Le premier problème réside en effet dans l’offre pléthorique de logiciels de télémédecine qui s’attaquent à des pathologies bien précises. Or, ils demeurent actuellement incompatibles entre eux et ne peuvent pas s’échanger des données. Il n’existe pas une norme précise dans laquelle ils pourraient interagir sous un système d’exploitation unique. On assiste pour l’heure à une surabondance de programmes qui agissent individuellement, en vase clos. Par exemple, pour contourner le problème, le ministre de la santé du Québec avait pris la décision il y a 2 ans de doter les organismes de santé d’un seul et même logiciel de télémédecine. Mais pour lutter contre les déserts médicaux, la base technique du déploiement de la télémédecine est que tout le territoire doit bénéficier d’une connexion internet.

Le second obstacle est davantage d’ordre humain. Le développement de la télémédecine est inéluctable mais il s’agit de penser et mettre en place une organisation efficace qui entraînera des économies d’échelles à terme. Cette réflexion est au cœur des débats dans les 135 GHT en France qui souhaitent dédier de vraies équipes à la télémédecine. Pour l’heure le développement du secteur en milieu hospitalier nécessite beaucoup de budget concernant le matériel et la formation du personnel médical et paramédical. Ce constat est souligné par Nathalie Salles, chef du pôle Gérontologie Clinique du CHU de Bordeaux : « une étudiante en sociologie qui a fait sa thèse sur les possibles freins à la téléconsultation en EHPAD en a trouvé deux : le personnel soignant doit avoir un temps dédié à cette activité et être formé à la technologie pour qu’elle ne soit pas rebutante. »

Pour Thierry Moulin, toutes les bases techniques et déontologiques sont posées pour voir la télémédecine se répandre sur tout le territoire français. Mais force est de constater que le cadre normatif et technique fait encore défaut pour que chacun puisse bénéficier de ces outils prometteurs.

Espérons que son développement s’en trouvera facilité par les nouvelles mesures de la LFSS 2018 !

Sources :

http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/annexe_10_plfss_2018_vdef.pdf (page 284)
http://sante.lefigaro.fr/article/la-telemedecine-une-realite-de-demain-/
https://theconversation.com/la-telemedecine-pour-tous-cest-pour-demain-ou-apres-demain-86071?utm_source=twitter&utm_medium=twitterbutton
http://www.lechorepublicain.fr/chartres/sante/2017/11/07/la-telemedecine-se-pratique-deja-a-chartres_12620058.html `