Dominique Pon, Directeur de la Clinique Pasteur, Toulouse

Le ministère de la Santé vous a confié la réflexion sur le virage numérique en santé, quel est le cadre dans lequel vous avez travaillé ?

Tout d’abord, nous avons mené des consultations sur plusieurs mois et fait ensuite des propositions concrètes remises fin juin et sur lesquelles le gouvernement a travaillé durant l’été. Nous souhaitions une évolution réellement transformante. Toutes nos propositions ont été acceptées et présentées par Emmanuel Macron et Agnès Buzyn le 18 septembre dans le cadre de « Ma santé 2022 ».

Ma première mesure a été de définir un cadre éthique et de se faire accompagner par des spécialistes en sciences humaines. Un comité d’éthique d’une quinzaine de personnes s’est réuni au ministère pour travailler bien au-delà de la RGPD, sur l’éthique du numérique, des algorithmes du numérique. Rappelons que nous avons en France les meilleurs chercheurs en matière d’éthique du numérique, et que des référentiels existent déjà.

Quelles sont vos propositions ?

Le projet numérique s’articule autour de trois grandes thématiques : les citoyens, les professionnels de santé et la gouvernance du numérique en France.

Le projet emblématique est la création d’un espace numérique de santé pour chaque citoyen. Il lui appartient depuis la naissance, il est totalement maître de son espace qu’il gère. Il pourra retrouver à l’intérieur toutes ses données de santé, pas uniquement celles liées à ses hospitalisations, tous les services numériques de santé utiles, un agenda et une messagerie de santé, ou encore un espace de stockage de ses constantes de santé, dès lors qu’il est connecté à d’autres dispositifs. Enfin, il disposera d’un « magasin numérique » dans lequel, sous couvert d’une garantie d’éthique des pouvoirs publics, tous les acteurs – cliniques, hôpitaux, start-up, éditeurs – pourront proposer leurs services numériques de santé au citoyen qui pourra sélectionner ce dont il a besoin.

Quel virage numérique est-il proposé aux professionnels de santé ? 

Il faut recréer une gouvernance claire. J’ai imaginé cette gouvernance de l’e-santé comme celle d’une ville, c’est à dire que les pouvoirs publics édictent le règlement d’urbanisme, etc., et le code de conduite -un socle de valeurs qui garantit un humanisme numérique. Les villes s’occupent donc du socle de base : les routes, les ponts, les réseaux électriques, le tout-à-l’égout. Ils s’arrêtent là mais cela ils le font bien. Ensuite, les autres acteurs, en s’appuyant sur ce socle de base, en ayant l’obligation d’utiliser les mêmes routes, ponts, réseaux, en respectant le code éthique, peuvent construire les bâtiments, les gratte ciel, etc. : on les laisse développer leur créativité.

Concrètement, un bouquet de services numériques sera accessible directement depuis les logiciels des médecins et des hôpitaux et comprendra les services de base auxquels les professionnels pourront se connecter directement et simplement. L’objectif est de leur fournir des outils clé en main. En complément de ces services de base, les éditeurs numériques, dès lors qu’ils répondent à l’interopérabilité, qu’ils respectent le socle de base et surtout le code de bonne conduite, pourront publier leurs offres dans ce bouquet. Les pouvoirs publics doivent se concentrer sur l’éthique de ces offres et les professionnels de santé doivent rester maîtres de leur bouquet et pouvoir choisir ce qu’ils veulent. L’objectif est d’organiser la création numérique à forte valeur ajoutée, afin de ne pas réinventer la roue.

Le gouvernement a fait appel à un directeur d’établissement de soin privé pour impulser des décisions nationales, quel commentaire cela appelle-t-il pour vous ?

C’est un signe d’ouverture très fort en direction de notre profession et témoigne d’une volonté de se rapprocher du terrain. C’est fantastique de faire venir une personne du terrain ! Je suis fier pour ma profession, et pour ma famille des directeurs de l’hospitalisation privée.