Fil Bleu N°6 du 26 mars 2024 – Interview du Pr Claude LINASSIER

Pr Claude LINASSIER, directeur du pôle prévention, organisation et parcours de soins de l’Institut national du cancer

Où en sommes-nous de la campagne de lutte contre le cancer colorectal ?

Dans 80 % des cas, le cancer colorectal survient après 50 ans. Il se développe à partir d’une tumeur bénigne appelée polype qui évolue et se cancérise progressivement en plusieurs années.

Le dépistage offre l’opportunité d’intervenir suffisamment tôt car il permet de détecter des lésions précancéreuses ou un cancer à un stade précoce. Dans le 1er cas, le polype sera retiré lors d’une coloscopie et la personne évitera donc un cancer. Dans le second cas, la personne sera guérie 9 fois sur 10.

Le test de dépistage est simple, rapide, efficace, et se réalise facilement chez soi. Il consiste à rechercher la présence (ou non) de sang dans les selles, même invisible à l’œil nu. Pour ce faire, il suffit de tremper un bâtonnet dans les selles, de le mettre dans une boîte hermétique et de l’envoyer par la poste au centre de dépistage grâce à l’enveloppe prétimbrée. Le résultat est adressé dans les trois jours par SMS ou les dans 15 jours par courrier. Si ce dépistage est positif, ce qui advient dans seulement 4 % des cas, cela ne veut pas dire que c’est forcément un cancer, mais que quelque chose saigne. Il faut alors poursuivre les explorations et procéder à une coloscopie pour poser le diagnostic. Alors que 94 % des Français adhèrent au principe du dépistage du cancer colorectal[1], seulement 34,3 % ont réalisé le test sur la période 2021-2022[2].

Plusieurs facteurs font que les gens repoussent la réalisation du test, alors qu’ils sont persuadés que le dépistage est utile. Parfois, certaines personnes estiment que le cancer ne les concerne pas, car ils se sentent en bonne santé. C’est une grave erreur car le cancer colorectal reste longtemps silencieux : il ne donne pas de symptômes à un stade précoce. S’il s’agit d’un cancer débutant, il sera guéri 9 fois sur 10, mais si l’on attend que la tumeur se développe, les chances de survie à 5 ans chutent à 14,3%[3]. De plus, le traitement d’un cancer à une phase métastatique est lourd et bien plus difficile à supporter.

L’objectif de la campagne de communication de l’Institut national du cancer est d’inciter la population à réaliser le test de dépistage tous les deux ans à partir de 50 ans (et jusqu’à 74 ans). Même si le risque de détecter un cancer est faible, dans tous les cas, chacun peut se remercier d’avoir fait le test et de se sauver la vie.

Que faire pour améliorer les données chiffrées relatives au dépistage ?

La nouvelle campagne de communication de l’Institut national du cancer vise à dédramatiser ce sujet. Le film diffusé à la télévision et sur le digital met en scène une personne qui fête ses 50 ans, et qui, au dessert, s’absente pour faire son test. Bien entendu et comme le rappelle la campagne, il n’est pas obligatoire de réaliser le test le jour de son anniversaire, mais dès 50 ans il doit s’inscrire dans une routine et être réalisé tous les 2 ans : « Vous n’êtes pas obligé de faire votre dépistage le jour de votre anniversaire, mais dès 50 ans faites-le tous les 2 ans et avant tout symptôme. C’est le meilleur moyen de s’assurer qu’il n’y a rien ou de détecter un cancer à un stade précoce. »

Depuis le 1er janvier 2024, les invitations à participer aux dépistages organisés sont envoyées par la CNAM, qui bénéficie d’un savoir-faire certain et de données qui lui permettent un adressage par courriel, SMS ou courrier postal ciblé. Cette année, 14 millions de personnes seront invitées à faire leur test de dépistage du cancer colorectal. De plus, une démarche d’« aller vers » a été mise en œuvre pour les 1,4 million de personnes les plus fragiles. Une centaine de conseillers, recrutés par la CNAM, opèrent à partir de plateformes téléphoniques. Ils sollicitent les personnes sans médecin traitant ou qui bénéficient de la complémentaire santé solidaire, afin de les accompagner personnellement.

L’accès au kit de dépistage a également été facilité. Il est toujours possible de le demander à son médecin traitant, un gastro-entérologue ou un gynécologue, ou encore à un médecin de la CNAM, mais également à son pharmacien depuis avril 2022. Il est aussi possible de le commander directement en ligne sur le site monkit.depistage-colorectal.fr. Enfin, un nouvel espace digital : jefaismondepistage.e-cancer.fr permet également d’accéder à la commande en ligne. Développé par l’Institut national du cancer, ce site apporte toutes les informations nécessaires sur les trois programmes nationaux de dépistage organisé : cancer du col de l’utérus, colorectal, et du sein.

Ces actions sont menées dans l’intérêt de tous.

Quels sont les enjeux de la lutte contre le cancer ?

Le cancer colorectal est, chez l’homme, le troisième cancer le plus fréquent après ceux de la prostate et du poumon. Il est la troisième cause de mortalité par cancer chez la femme après le cancer du sein et du poumon. En France ce sont 17 100 décès par an et plus de 47 000 patients touchés avec une légère prédominance chez l’homme, d’où son importance en termes de santé publique. Au niveau mondial, l’Organisation mondiale de la santé estimait en 2020 à 1,9 million le nombre de nouveaux cas et 930 000 décès dus au cancer colorectal.

Le taux minimum de participation recommandé par l’Union Européenne à la campagne de dépistage du cancer colorectal est de 45 %. Avec un taux de participation de 34,3 % sur la période 2021/2022, la France est bien en-deçà des objectifs fixés. À contrario, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, avec des taux de participation respectifs de 72,7 % (2017) et 57 % (2018), sont bien meilleurs. L’objectif de 65 %* de taux de participation, fixé par la Stratégie décennale de lutte contre les cancers, permettrait chaque année d’éviter 5 700 cancers et 6 600 décès.

Au-delà de l’augmentation de la participation au dépistage du cancer colorectal, il est également important de sensibiliser la population aux facteurs de risques favorisant le développement d’un cancer colorectal. Parmi ces facteurs de risques, il y a notamment l’obésité, qui touche des personnes de plus en plus jeunes et résulte de la sédentarité combinée à une alimentation déséquilibrée à base de viande et de produits transformés. C’est pourquoi, il convient d’ajouter aux campagnes de dépistage la lutte contre le surpoids par la promotion de l’activité physique, d’une alimentation équilibrée et une réduction de la consommation de viande rouge, d’alcool ou le tabagisme.

Entre un polype bénin et un cancer métastasique il y a tout un continuum. Il est de la responsabilité de chacun, puisque nous en avons les moyens, de se mettre dans une situation de prévention et de participer aux dépistages organisés, qui peuvent sauver des vies.

*https://www.e-cancer.fr/content/download/317173/4544094/version/3/file/Strate%CC%81gie+de%CC%81cennale+de+lutte+contre+les+cancers+2021-2030+V2.pdf

[1] Posts-tests BVA/INCa (campagne de communication) 2023 sur des échantillons représentatifs de la population cible 50-74 ans.

[2] Source données Santé publique France.

[3] Surveillance Epidemiology and End Results (SEER) 18 Stat Fact Sheets: Colon and Rectum Cancer. (2010-2016), 2020