Covid-19, vague 2 – Journal de bord – N°2

Recueil de récits

La lutte contre la Covid-19 nous rassemble. Au regard de son écosystème, chaque établissement de santé trouve les solutions pour faire face à cette deuxième vague épidémique. Autant de situations riches d’enseignement pour tous, et aussi, une manière de vous rendre hommage !

Semaine 49 : RETEX de 4 directions d’établissements de santé.

Nicolas Bioulou, président de la FHP Bretagne

Une activité maintenue à 100 % 

Les 4 autorisations temporaires de réanimation obtenues en Bretagne, qui doublent notre capacité, ont été renouvelées dès le mois d’octobre et jusqu’en avril 2020. Cette organisation mise en place très tôt nous a évité la phase douloureuse du printemps où nous avions dû batailler pour obtenir cet accès à la réanimation. La coopération entre les secteurs public et privé s’en est trouvée plus naturelle et instinctive. Services de médecine ou de soins intensifs, nos organisations étaient rodées et la coopération avec nos établissements voisins également. Les acteurs de terrain se sont autorégulés et nous avons observé très peu d’interventionnisme de la part de l’ARS. L’agence est intervenue lorsque la parole d’un tiers était nécessaire.

Cet environnement a permis aux cliniques et hôpitaux privés de mener de front leur activité habituelle et d’accueillir dans les services de médecine simultanément jusqu’à une cinquantaine de patients atteints de la Covid, dans une région épargnée par l’épidémie. Par ailleurs, les hôpitaux publics ont accueilli 44 transferts sanitaires d’autres régions.

Seuls les établissements à Rennes, territoire le plus touché, ont déprogrammé environ 20 % de leur activité pendant 2 à 3 semaines pour libérer les ressources humaines anesthésiques et médicales nécessaires au service de réanimation. Les autres établissements de santé privés ont poursuivi leur activité habituelle à 100 %.

Demain…

La bataille de la FHP Bretagne sera de transformer les autorisations temporaires de réanimation en autorisations définitives. Cette reconnaissance est essentielle. Rappelons que la Bretagne est très sous-dotée : 4,85 lits de réanimation pour 100 000 habitants en Bretagne, versus 7,54 en moyenne en France. 90 lits supplémentaires seraient nécessaires pour égaler cette moyenne nationale.

Demain, nos organisations devront intégrer en routine l’accueil de patients atteints de la Covid comme d’autres malades atteints d’une grippe, ou d’autres pathologies hivernales récurrentes. L’hospitalisation privée sera moteur pour déployer la campagne de vaccination et se met à disposition pour ouvrir des centres de vaccination comme elle l’a fait avec les centres de dépistage.

Olivier Verriez, président du groupe Hôpitaux Privés du Littoral, Boulogne-sur-Mer (62)

Une répartition des rôles coordonnée

Très vite, nous avons convenu avec le directeur de l’hôpital de Boulogne-sur-Mer qu’arrêter simultanément l’activité des deux établissements hospitaliers du territoire comme lors de la première vague serait une erreur. Pour ma part, nous gérons des soins intensifs mais, même munis d’une autorisation dérogatoire de réanimation, prendre en charge un patient intubé en position ventrale pendant 15 jours n’est pas notre cœur de métier. C’est en revanche davantage celui de l’hôpital.

Le deal était alors simple : l’unité Covid du territoire devant être proche de la réanimation serait située à l’hôpital, et via une convention, nous accueillerions les chirurgiens et aides-opératoires de l’hôpital avec leurs patients non Covid à la clinique, en ambulatoire, et en diminuant notre propre activité de 30 %.

Une intelligence de terrain

Les équipes de l’hôpital sont venues visiter la clinique, épatées par nos circuits courts, le dispositif était prêt. C’était une organisation en « circuit court » et ambulatoire acceptée par l’ARS qui nous laissait la main. Une démarche intelligente de solidarité.

Sauf que la vague épidémique s’est révélée beaucoup plus forte que prévu et rapidement, avec plus de 100 malades de la Covid, l’hôpital public s’est trouvé submergé, sans compter que nos patients étaient également atteints. Notre entente devenait caduque et nous avons finalement ouvert une unité Covid et diminué notre activité chirurgicale de 20 %.

Notre unité Covid de 20 lits a été pleine pendant 1 mois et demi. De même, nous avons eu quelques transferts d’urgences chirurgicales de l’hôpital avec lequel nous sommes en contact tous les jours. Les soins en réanimation étaient heureusement plus légers que pour la première vague, avec beaucoup moins d’intubations et davantage d’oxygénothérapie à haut débit.

Globalement, les chiffres décroissent mais le week-end dernier, l’hôpital a doublé le nombre de patients hospitalisés pour Covid, passant de 25 à 50, et gère un service de réanimation plein de 18 lits. 9 nouveaux malades sont arrivés également chez nous. La situation reste donc préoccupante.

Nous avons maintenu environ 80 % de l’activité chirurgicale, organisée de façon intelligente par le corps médical et les équipes. Le Samu connaît désormais le chemin de la clinique et a découvert notre plateau de cardiologie interventionnelle et la présence h24 des cardiologues : pendant trois semaines toutes les urgences cardiologiques de l’hôpital et des urgences chirurgicales nous ont été transférées. Au final, nous faisons le job que nous savons bien faire.

Je deviens un fonctionnaire !

Depuis des mois, nous exécutons des ordres de notre administration de tutelle. Nous n’avons plus la maîtrise de notre masse salariale (prime Covid, Ségur), recevons des subventions sans en comprendre, ni le montant, ni la répartition entre les établissements aux niveaux national et régional. Ce dont je suis sûr, c’est que des économies nous seront imposées dans le futur. J’ai l’impression d’être devenu un agent de l’État et plus du tout un chef d’entreprise.

Depuis des mois, je ne gère que des mécontentements : celui des praticiens dont l’activité a été réduite, celui des salariés épuisés dont le moral n’est pas très bon et les attentes salariales énormes. La lassitude s’installe dans les équipes avec son cortège d’insatisfactions : prime Covid 2, pénurie de personnel avec un taux d’absentéisme d’environ 30 %, pas de visibilité sur les mois à venir (campagne de vaccination efficace sur quelle durée, etc…). Nos équipes demeurent très solidaires mais à quel prix ?

Je retiens toutefois que nous avons fait la démonstration auprès de l’ARS qu’une intelligence de terrain était possible car l’histoire de la Covid n’est pas finie…

Dr Philippe Tourrand et Dr Jean-Charles Pottie, Vice-Présidents du groupe Louis Pasteur Santé (54)

Nous n’avons pas suffisamment mutualisé nos moyens sur les territoires

À la clinique Louis Pasteur d’Essey-Lès-Nancy, alors que nous avions armé 16 lits supplémentaires de réanimation et doublé les lignes de garde au printemps, seuls quatre lits supplémentaires ont été nécessaires à l’automne. Cela nous a toutefois obligés à déprogrammer 50 % de l’activité non urgente ainsi que des chirurgies viscérales et vasculaires lourdes. Les activités de diagnostic sanctuarisées, cancérologiques et cardio-vasculaires, ont été maintenues. Avec le CHU de Nancy, nous nous sommes accordés sur l’exercice libre de nos activités à hauteur d’une occupation de 50 % des services de soins critiques. Depuis une semaine, nous travaillons sur la reprogrammation.

À la clinique Jeanne d’Arc de Lunéville, nous avons déprogrammé 50 % de l’activité des six salles d’intervention de cet établissement de proximité alors que le territoire a été plus faiblement impacté que prévu. Cet établissement n’a accueilli aucun patient atteint de la Covid. En accord avec les directions respectives, notre plateau technique a été mis à disposition des praticiens du CHU. Cette collaboration n’a trouvé que peu d’écho, hormis un gastro-entérologue pour une activité diagnostic.

À la clinique Ambroise Paré de Thionville, en concertation avec les acteurs du territoire, nous avons déprogrammé notre activité chirurgicale à hauteur de 50 % et ouvert une unité de médecine dédiée à la Covid. À Épinal, le Pôle Santé la Ligne Bleu a également mis en place une structure Covid et réduit son activité chirurgicale.

La Direction médicale a des relations excellentes, basées sur la confiance, avec la CME. Les médecins ont assez bien accepté les mesures prises car on leur a donné la liberté de prioriser leurs patients. Ils nous ont remerciés pour cela, et ont senti que la direction partageait la même philosophie qu’eux. Les soignants ne se sentaient pas au départ en capacité de revivre le mois de mars mais le moral est resté bon. Dans le Grand Est, le besoin supplémentaire en ressources soignantes motivé par la Covid se double d’une pénurie régionale permanente en infirmières, aggravée par la proximité du Luxembourg et de la Suisse ou le salaire est trois fois plus élevé.

Un volet manquant : la coordination de la prise en charge des soins non covid

L’ARS s’est focalisée sur la lutte contre la Covid mais personne n’a réellement travaillé sur l’organisation territoriale des soins non Covid. L’ARS a été spectatrice, rarement coordonnatrice. Le pilotage a été laissé aux mains des GHT. Des praticiens de l’hôpital auraient dû davantage venir travailler chez nous. Nous n’avons pas suffisamment mutualisé nos moyens. Nous déplorons ce manque de gouvernance qui aurait pu se faire avec tous les acteurs publics, privés, et de ville.

La Clinique Pasteur a déprogrammé fortement son activité pour accueillir huit patients en réanimation. À Épinal, contrairement à la première vague, la coopération chirurgicale ne s’est pas faite avec le centre hospitalier alors que la clinique réalise 90 % de la chirurgie carcinologique de son territoire. Était-ce les meilleures solutions à proposer à la population ?

Crédits photos : Privé